bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

mercredi 25 mai 2011

Jacques Normand - Dans le clair jardin

« …Je veux que, si quelqu’un par la porte entr’ouverte
T’aperçoit sommeillant sur ma table déserte,
O mon vieil encrier,
Il se dise : « de là sortirent bien des rêves !… »            

Jacques Normand.

Célèbre de son vivant, Jacques Normand naquit en 1848 à Paris.  Avocat à vingt et un ans, il entreprit par la suite des études à l’école des chartes, il en sortira diplômé.
Lorsque la guerre de 1870 éclate, Jacques Normand revêt la vareuse bleue des gardes mobiles.  Pendant le conflit, Jacques consigne dans un carnet, des notes et des poèmes. Ces derniers seront publiés sous le titre : « les tablettes d’un mobile ».  La guerre finie, la carrière littéraire lui tend les bras.  Bientôt, le jeune écrivain publie nombre de romans, de poèmes.  Ses monologues surtout, rajeunis et modernisés, sont remarqués par la critique.  Ecrivain, poète, Jacques aborde à présent le théâtre. Sa pièce « Musotte » écrite en collaboration avec Maupassant, jouée au théâtre du Gymnase, connaît le succès.  Cette réussite, le lance vers d’autres triomphes. On représente ses pièces au théâtre de l’Odéon et à la Comédie française.  Plusieurs d’entre-elles sont des créations conjointes avec le trop peu connu André Delavigne.  A côté de cela, l’encre de sa plume alimente les colonnes de divers journaux.  Membre de la commission de la société des auteurs dramatiques et du comité de la société des gens de lettres, il s’éteint en 1931.
Auteur gai, avec une pointe de mélancolie, Jacques Normand avait le vers facile et naturel.




Dans le clair jardin

Dans notre clair jardin, - le jardin de famille
Où, tout petit enfant, je jouais autrefois, -
Par la fenêtre, assis à ma table, je vois
Lisant, le front penché, l’air attentif, ma fille.

Elle est là, sous le dôme ombreux de la charmille,
En un coin familier, sur le vieux banc de bois
Où je lisais aussi les auteurs de mon choix
Jadis…Chers souvenirs dont le passé fourmille !

« Hum ! hum ! que fait-on là, fillette, s’il vous plaît ? »
Dis-je, quittant ma chaise et poussant le volet.
Elle ne m’entend pas, sur son livre inclinée.

Second « Hum ! hum ! » plus fort, plus net, plus sérieux.
D’un joli mouvement sa tête s’est tournée…
Et c’est un peu de moi qui me rit dans ses yeux.

Jacques Normand  ( Les visions sincères.)

lundi 23 mai 2011

Promenade littéraire, Victor Hugo et la vallée de la Bièvre

Gentilly, la maison des Foucher.
« L’on ne songe plus, tant notre âme saisie
Se perd dans la nature et dans la poésie,
Que tout près, par les bois et les ravins cachés
Derrière le ruban de ces collines bleues,
A quatre de ce pas que nous nommons des lieues
Le Géant Paris est couché »
Victor Hugo, au château des Roches.

A quelques kilomètres de Paris, la vallée de la Bièvre mérite le détour.  Lieu de promenade et de distraction des Parisiens depuis des siècles, elle a charmé de nombreux écrivains et artistes.  Ronsard, Rousseau, Corot, Odilon Redon, parmi tant d’autres ont été séduit par la beauté de l’endroit.  Au bonheur que lui accorde l‘inspiration de  quelques belles œuvres s’ajoute le souffle puissant de Victor Hugo.  Malgré la modernisation, il reste encore de ces temps-là une musique qui ne s’éteint pas. 
Presque au centre de Paris, à l’endroit invisible où la Bièvre rencontre la Seine, règne toujours l’écho à la fois insaisissable et lointain des Feuillantines.  Dans l’ancien couvent, parmi les herbes folles, enfant heureux, Victor découvrit la nature, la poésie et la tendresse.

Le jardin des Feuillantines.
« J’eus, dans ma blonde enfance, hélas, trop éphémère, trois maîtres : un jardin, un vieux prêtre et ma mère.»

Plus tard, retrouvant la Bièvre à Gentilly, Victor, adolescent amoureux, rejoignait la jeune Adèle Foucher.  Encore plus tard, c’est dans les villages de Bièvres et de Jouy que s’abritèrent les amours naissantes de Victor Hugo et de Juliette Drouet.

De la demeure des feuillantines, témoin de l’éveil de la sensibilité du poète, il ne subsiste plus rien.  Seul, survit l’image des mots.  Hugo écrivait en 1875 :

Les Feuillantines.
« … aujourd’hui ces arbres, cette chapelle et cette maison ont disparu.  Les embellissements qui ont sévi sur le jardin du Luxembourg se sont prolongés jusqu’au Val-de-Grâce et ont détruit cette humble oasis.  Une grande rue assez inutile passe-là.  Il ne reste plus des Feuillantines qu’un peu d’herbe et un pan de mur décrépit encore visible entre deux hautes bâtisses neuves, mais cela ne vaut plus la peine d’être regardée si ce n’est par l’œil profond du souvenir.  En janvier 1871, une bombe prussienne a choisi ce coin de terre pour y tomber, continuation des embellissements, et M. de Bismarck a achevé ce qu’avait commencé M. Haussmann.  C’est dans cette maison que grandissaient sous le premier empire les trois jeunes frères.  Ils jouaient et travaillaient ensemble, ébauchant la vie, ignorant la destinée, enfances mêlées aux printemps, attentifs aux livres, aux arbres, aux nuages, écoutant le vague et tumultueux conseil des oiseaux, surveillés par un doux sourire.  Sois bénie, ô ma mère !».

Des Feuillantines à Gentilly la distance est courte. Et le poète chantait :

« Vallon, j’ai bien souvent laissé dans ta prairie
comme une eau murmurante errer ma rêverie
je n’oublierai jamais ces fugitifs instants
ton souvenir sera, dans mon âme attendrie
comme un son triste et doux qu’on écoute longtemps »


Gentilly, l'église et la maison des Foucher.


De ce vallon d’autrefois, caché sous la ville moderne, il n’est plus qu’un pli sensible.  En 1823, Gentilly s’étirait le long des rives de la Bièvre.  La rivière bordée de jardins, coulait entre la vieille église Saint-Saturnin et la maison des Foucher.  Cette maison a été démolie et la rivière voûtée.  De nos jours, rien ne permet de reconnaître l’emplacement de ce qui fut la maison familiale d’Adèle.  Là, où naguère les fiancés s’attardaient, égarés par leurs rêves de bonheur, la mémoire seule nous implore.  Pour les retrouver, il faut pénétrer dans l’église inchangée, qu’ensemble ils fréquentèrent.


Adèle Foucher.

Victor Hugo à l'âge des fiancailles.

Plus loin, sur la crête d’un coteau, s’élève le village de Bièvres. Dix ans ont passé et déjà le joli visage de Juliette Drouet efface le souvenir des fiancés de Gentilly.  Dans un site qui exhale comme un parfum de vallée de la Loire, l’église s’inscrit en caractères pleins :

« C’était une humble église au cintre surbaissé
L’église où nous entrâmes ;
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes… »

Malheureusement, son aspect a bien changé depuis la visite du poète en compagnie de Juliette.  La façade et l’entrée ont été remanié vers 1880 et l’intérieur modernisé.

Entre les villages de Bièvres et de Jouy, durant deux étés, Victor vécut des amours discrètes avec Juliette. 


Juliette Drouet.

« Mon bien aimé Victor, je suis encore toute émue de notre soirée d’hier.  A défaut d’amie et de cœur qui me comprenne, et dans lequel je pourrais verser le trop plein de mon bonheur, je t’écris ceci, qu’hier 3 juillet 1834, à 1 heure et demie du soir, dans l’auberge de l’écu-de-France à Jouy, moi, Juliette, j’ai été la plus heureuse et la plus fière des femmes de ce monde… »

L’auberge de l’Ecu de France est toujours debout. C’est par une de ses fenêtres, que les deux amants, le matin du 4 juillet 1834, virent le soleil s’élever au-dessus des toits.

(Et pendant ce temps, Sainte-Beuve rendait visite à Adèle…)

A Jouy, Victor loua pour Juliette une chambre mansardée dans une ancienne conciergerie.  La maison entourée d’un jardin, était modeste, tout à ras de terre, percée de quatre fenêtres au rez-de-chaussée et de trois petites lucarnes à l’étage.  Une porte s’ouvrait de plain-pied sur le jardin.  Cette maison existe encore.  Une inscription évoque le passage des amants célèbres :

« D’autres sont maintenant passés où nous passâmes
Nous y sommes venus d’autres vont y venir
Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes.
Ils le continueront sans pouvoir le finir

Car personne ici-bas ne termine et n’achève
Les pires humains sont comme les meilleurs
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs. »

Pendant que Juliette séjournait dans sa mansarde, Victor, quelques kilomètres plus loin, profitait de l’hospitalité de son ami Bertin au château des Roches. 

« Cette nuit dans ma chambre des Roches,
 je tourne les yeux du côté où tu es… »

Chaque jour, à mi-chemin entre les Roches et Jouy, dans le bois de l’Homme-Mort, leurs cœurs confondus, leurs âmes mêlées, les deux amants oubliaient tout.  Complice de cet amour, un vieil arbre servait d’intermédiaire à leur correspondance.  Ce bois est toujours là.
Les promenades dans le parc du château, autour de l’étang, le long des allées sinueuses bordées d’arbres furent pour le poète des Feuilles d’Automne des plus fécondes.  Le château des Roches, remanié, sert à présent de lieu de mémoire consacré au souvenir de Victor Hugo.

En octobre 1837, Victor revint seul à la petite maison de Jouy.  Voyage mélancolique dont naîtra la tristesse d’Olympio.


Victor Hugo.

« Il voulut tout revoir, l’étang près de la source,
Les retraites d’amour au fond des bois perdues,
L’arbre où, dans les baisers, leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d’où l’œil plonge en une oblique allée
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait.  Au bruit de son pas grave et sombre
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l’ombre
Des jours qui ne sont plus. »

Au mois de Septembre 1845, Juliette et Hugo retrouvèrent, enfin ensemble, les lieux où leur amour s’éveilla.  Après un déjeuner à l’auberge du soleil d’or à Bièvres, ils se dirigèrent à pieds vers la maison de Jouy.  Dans le bois de l’Homme-Mort, Juliette plus qu’Hugo, retrouva avec émotion, leurs « chambres de feuillage » et leurs « chapelles d’amour » :

«…J’aurais voulu mettre mes pieds dans tous les sentiers que nous avons parcourus ensemble, il y a douze ans, baiser toutes les feuilles des arbres, cueillir toutes les fleurs des bois, tant il me semblait que c’étaient les mêmes qui nous avaient vus passer ensemble… »

Ils ne retournèrent plus, dans la vallée qui avait vu fleurir une histoire d’amour d’un demi-siècle.  Juliette mourra en 1883  et Victor en 1885.  Ils auront échangé vingt trois mille lettres et laissé autant de souvenirs.

« …un amour qui fut faute et qui devint vertu. »

Aujourd’hui, dans cette vallée inspirée, les pèlerins, à la recherche de ce jadis perdu, rêvent.  Lentement, ils errent dans les pas des amants disparus, respirent avec précaution les mêmes senteurs, regardent respectueusement les mêmes paysages.  Alors, pour peu que l’âme soit assez sensible, ils sentent, tout au fond d’eux, monter le rythme des sons et des paroles d’hier.  Une immortelle musique silencieuse que seul le coeur entend.

J.D.
Juliette Drouet : une débutante à Bruxelles

N.B. : Une question à poser, une remarque à faire, une expérience à raconter sur le contenu de cette page ?   Laissez-moi un mail ou un commentaire.

lundi 16 mai 2011

Bruxelles, capitale de la France ?


Le dernier Carolingien, Louis V, acclamé roi à Compiègne et sacré à l’âge de douze ans, meurt, en 986, âgé de vingt ans et sans enfants.  L’ensemble des seigneurs se réunit à Senlis pour élire l’un d’entre eux à la tête du royaume de France.  On a volontairement oublié de convoquer quelqu’un.  Fils du roi Louis d’Outremer, frère du roi Lothaire et oncle du jeune Louis V, Charles duc de Basse-Lotharingie n’a pas été invité.   Charles représente pourtant la légitimité.  Loué par certains, représenté par d’autres comme un voleur qui a dépouillé l’évêché de Cambrai, le duc Charles vit à Bruxelles.  Il en a fait sa capitale.  Bruxelles, appartenait à Gerberge, l’épouse de Louis d’Outremer. Après une rébellion contre l’empereur Othon 1er, ce douaire fut confisqué.  Le fils cadet de Gerberge, Charles de France, réclama les armes à la main son bien.  Othon II lui rendit son héritage pour avoir la paix.  A cette occasion, l’empereur d’Allemagne signa à Bruxelles plusieurs actes.  Charles, qui jusqu’alors n’avait que son épée, fut fait duc de Basse-Lotharingie.   
Bâtie autour d’une rivière navigable, la Senne, protégée par un château, des forêts et des marais, Bruxelles a déjà acquis de l’étendue et de l’importance.  Point de transit entre la Flandre et Louvain, Liège et Aix-la-Chapelle, cette cité attire sur elle l’attention des princes et du commerce.  Un évêque s’y était déjà installé vers l’an 700.  Charlemagne y avait eu une habitation et Louis-le-Débonnaire y fonda, dit-on, l’église de Saint-Jacques-sur-Coudenberg.  Sur la colline Saint-Michel existait déjà la chapelle qui allait, plus tard, devenir cathédrale.  A une capitale qui se respecte, il faut un Saint protecteur ou une Sainte.  Paris a Sainte-Geneviève, Bruxelles aura Sainte-Gudule.  Charles y fait transporter, en 978, le corps, bien abîmé, de cette Sainte, morte en 712.  Il installe les reliques dans la chapelle de son château.

Retournons à Senlis qui, se trouve sur les terres de Hugues Capet.  Hugues est un ambitieux, cousin du roi Lothaire, ils ont grandi ensemble.  Il rêve de s’asseoir sur son trône, être le roi à la place du roi.  On suspecte son père de lui avoir mis cette drôle d’idée dans la tête : «  Un jour, mon fils… ».   En attendant ce jour, il conspire.  Lothaire, profitant d’une réconciliation avec le turbulent comploteur, fait couronner son fils, Louis.  On est jamais trop prudent avec le cousin Hugues.  Précaution utile, car Lothaire meurt avec tous les symptômes d’un empoisonnement. Rapidement, les soupçons se portent sur Adalbéron, évêque de Laon et sur la reine Emma, l’épouse germanique de Lothaire.  Les deux ont, comme on dit, une relation coupable.  Le mari gênait.  Le roi gênait aussi.  Lothaire avait conduit une expédition militaire contre Théophanie veuve d’Othon II de Germanie.  Rancunière, Théophanie a décidé depuis, la chute des carolingiens. Pour réaliser ce dessein, elle peut compter sur l’aide d’Hugues et de l’archevêque de Reims, qui s’appelle aussi Adalbéron.  Pendant la guerre, par ses conseils, cet archevêque avait porté secours à la reine de Germanie.  A présent, sur le trône, Louis V succède à son père.  Louis veut punir Adalbéron pour sa collaboration avec l’ennemie des carolingiens.  Il l’accuse de trahison et le qualifie : «  …d’homme le plus scélérat de tous ceux que la terre supporte… ».  Le procès de l’archevêque commence.  Louis se trouve à Senlis (le hasard tout de même), lorsque subitement, à son tour, il décède.  Officiellement, il succombe à une chute de cheval, mais plusieurs chroniques parlent des mêmes symptômes que ceux de son père.  Peut-être succombe-t-il  à l’un et à l’autre ?  

Cette mort arrange bien des affaires.  Grâce à la disparition de Louis, le bon archevêque échappe au tribunal et à la condamnation.  En public, Hugues, qui fait le remplacement, innocente le prélat de toutes les accusations portées contre lui.  La route du trône est maintenant libre.  Une assemblée de prélats et de grands seigneurs se réunit à Senlis.  Descendant de Charlemagne par les femmes, comte de Paris et duc de France, Hugues veut être acclamé roi.  C’est le bon moment, la loi salique n’est pas encore d’actualité et l’unique prétendant est à Bruxelles.  Il faut faire vite pour couper le chemin à ce rival.  L’assistance, présidée par le bienveillant archevêque de Reims, se dépêche d’élire Hugues, roi de France.  Le 3 juillet 987, L’affaire est dans le sac, dans la cathédrale de Noyon, Adalbéron sacre Hugues.  L’ecclésiastique devait bien ce service au nouveau roi.

Dépossédé de la succession, Charles, pour défendre ses droits, décide une descente dans le royaume.  Sans alliés parmi les grands de France, il a contre lui sa belle-sœur, veuve de Lothaire et le parti germanique de la cour soutenu par Théophanie.  Tous épousent la cause d’Hugues Capet.  Malgré ces désavantages, Charles qui a réuni quelques troupes, prend Laon. Il fait prisonnier la reine Emma et son petit protégé, l’évêque Adalbéron.  Il en profite pour s’y faire sacrer roi de France. Voilà deux rois à la tête de la France et sur les bras des Français.  L’un est de trop, l’affrontement devient inévitable.  Hugues doit maintenant se défendre contre son rival qui prend l’offensive.  Pendant quatre années, non seulement, Charles reste invaincu mais il progresse.  Laon, Soissons et Reims sont à présent en son pouvoir.  Hugues se rend bien compte qu’il ne peut plus gagner militairement.  Alors pour renverser son adversaire, il décide d’employer l’arme de la trahison.  La créature de la reine Emma, Adalbéron, l’évêque aux petites infusions mortelles, va se charger de cette infâme besogne.  Une nuit, à Laon, pendant le sommeil de Charles, l’homme d’église introduit dans la chambre royale quelques hommes de mains.  Ils s’emparent du dormeur et le livrent pieds et poings liés à Hugues.  Sous bonne garde, le prisonnier et toute sa famille sont conduits d’abord à Senlis, où l’on décide de leur sort, puis à Orléans où ils sont enfermés. Bruxelles ne reverra plus son prince.  Les circonstances de la fin de Charles restent pour le moins assez mystérieuses.  L’Histoire donne 991 ou 992, l’année de son trépas, mais…

Cette affaire mit fin aux prétentions carolingiennes sur la couronne de France.  Par une usurpation, par une trahison et peut-être par deux empoisonnements, Hugues Capet venait de faire parvenir sa famille sur le trône de France pour plus de huit siècles.  Débuts très prometteurs…
Si Charles  avait été victorieux,  la dynastie carolingienne aurait continué à régner, mais pour combien de temps encore ?  Bruxelles aurait peut-être été la capitale de la France…Mais rien ne dit que le Carolingien serait resté dans cette ville.  Paris possède tant de charmes... «  Sous le pont Mirabeau coule la Seine »  et Bruxelles n’a plus de ponts sous lesquels coule la Senne.  La rivière qui lui a donné naissance, sert d’égout aux Bruxellois.  C’est diablement moins poétique et pas de quoi donner une envolée lyrique à Apollinaire.  

 J.D.

NB : Une question sur le propos ? Une remarque ?  Envoyez-moi un mail ou laissez-moi un commentaire.  J’y répondrai avec joie.  J.D.






mardi 10 mai 2011

La reine morte.


Inês de Castro.
 « Quoique l’amour ne promette que des plaisirs, les effets en sont quelquefois tristes… »  « Agnès de Castro, nouvelle portugaise – anonyme - 1710 ».

1336.  Portugal.  Evora, capitale de la province d’Alentejo.
  
L’infant Dom Pedro, fils du roi Alphonse IV du Portugal épouse Constance de Castille.  Il a seize ans, elle en a treize.  Une cérémonie sans la mariée, le roi de Castille retient Constance prisonnière. Un différend entre ce roi et le père de la princesse est à l’origine de cette captivité.  Pour que la jeune femme puisse rejoindre son époux, le Portugal déclare la guerre à la Castille.  Un mariage dynastique, Pedro ne s’intéresse guère à son épouse.  Avec ses amis, il continue à se distraire et à chasser.  Parmi les dames qui accompagnent Constance, il en est une que l’on distingue particulièrement.  Cette jeune femme qui vient de Castille est belle comme une aurore, blonde comme le soleil et dotée d’une rare élégance.  Par le roi Sancho IV, elle est cousine avec l’infant.  Toute la cour la dévore des yeux.  Pedro qui, la baptise « cou de cygne » en devient amoureux fou pour l’éternité.  Cette fée qui fait rêver la cour, s’appelle Inês de Castro.  Elle aussi, a remarqué Pedro.  Ils sont jeunes, ils ont vingt ans, ils sont beaux et un sentiment brûlant les anime. Rapidement, Inès et Pedro succombent à la passion. Ils deviennent amants, d’abord de cœur, puis de corps.  Mais une âme charitable met sous les yeux de Constance, un poème de Pedro pour Inês.  Anonymement bien sûr, ce genre de charité a ses limites. Pour couper court à leur liaison, l’infante, enceinte, demande à Inês de devenir la marraine de son enfant.  A cette époque, ce lien rendait totalement impossible toute union charnelle entre le père de l’enfant et la marraine.  Malheureusement, ce choix ne suffit pas.  Pedro, caractère passionné et emporté, se moque des règles.  Il n’obéit pas aux convenances établies.  Personne ne l’empêchera d’aimer la belle Castillane.  Devenu inévitable, le scandale éclate.  Dès lors, le roi Alphonse IV oblige la maîtresse de son fils à quitter la cour.  Bannie du pays, Inês retourne en Castille. Alphonse espère qu’une séparation balayera cet amour déraisonnable.  Il se trompe.  L’éloignement ne représente pas un obstacle pour les deux amoureux.  Ils continuent à partager l’ivresse qu’ils ont l’un pour l’autre.  La distance et le temps rendent leur amour encore plus fiévreux.   Et voilà qu’en 1345, Constance meurt en couche.  Pedro, veuf à vingt-quatre ans, est libre.  Inês quitte son exil pour le rejoindre.  


Pedro et Inês

A Lourinhã, loin des yeux de la cour, mais pas de ses oreilles, le couple se retrouve.  Ils y respirent enfin ce bonheur qu’ils ont tant attendu.  Entre deux flâneries à cœur ouvert, les amants s’abandonnent et Inès écoute Pedro lui lire les poèmes qu’il a écrit pour elle.  Pedro est poète comme son grand-père, le roi Dinis.  Ils vivent leurs plus belles années, des enfants naissent.  Inquiet de ces retrouvailles et de cet amour qui ne veut pas mourir, Alphonse IV demande à Pedro de se remarier au plus vite.  Pedro répond qu’il ne peut le faire en souvenir de sa chère Constance.  En réalité, Pedro veut épouser Inês.  Alphonse qui n’est pas dupe, le sait.  Ce mariage  avec une Castro, représente un danger pour l’indépendance et la paix du Portugal.  Pour éviter les conflits, le roi demande au pape d’Avignon de ne jamais concéder de dispense pour le mariage de Pedro avec sa cousine.  Malgré cela, les deux amoureux continuent à vivre des moments merveilleux.  Le 1er janvier 1354, à Bragance, sans l’autorisation d’Avignon, Pedro épouse en secret sa maîtresse.  Mais les Portugais ne voient pas d’un très bon œil, l’influence de cette nouvelle Eve et de sa famille sur l’héritier du trône.  Les deux frères de la belle conspirent et contribuent aux mauvaises relations entre le Portugal et la Castille.  Profitant de l’amour que porte l’infant à leur sœur, ils veulent soumettre à leur emprise le Portugal et la Castille.  Ils poussent Pedro à se déclarer prétendant des couronnes de Leon et de Castille.  Vers le même moment, la peste apparaît et se propage au Portugal.  Rapidement, on accuse Inês, par ses pêchés, d’être responsable de cette épidémie.  A la maladie s’ajoute bientôt la misère. Le ton monte.  Devant cette atmosphère menaçante, le couple part pour Porto, il y sera plus en sécurité.  Cependant, la flamme, qui ne cesse de brûler, de cet amour interdit augmente la jalousie des principaux conseillers du roi.  On soupçonne d’ailleurs deux conseillers, Gonçalvez et Pacheco d’être secrètement amoureux d’Inês et la sœur du premier, Elvire, d’être amoureuse de Pedro.  Craignant pour leur avenir, ces courtisans déclarent que Pedro est sous la domination des frères Castro.  Devant la haine générale qui s’installe contre eux, les amants gagnent Coimbra, lieu de naissance de Pedro. Ils s’établissent dans le palais élevé à côté du couvent de Santa-Clara où repose Sainte Isabelle, la grand-mère de Pedro.  Les conseillers d’Alphonse qui appréhendent de plus en plus l’influence des frères d’Inês, pressent le roi d’en finir avec elle.  Le complot s’organise contre la bien-aimée.  Le matin du 7 janvier 1355, un scène étrange se produit à Coimbra.  Peu avant le départ de Pedro pour la chasse, se passe un événement qui apparaît comme un présage funeste.  Au moment où l’infant et ses hommes se préparent à partir, un vieux chien noir, rendu furieux par quelque force mystérieuse, bondit sur Inês.  Le molosse est horrible à voir, la bouche écumante et les crocs découverts.  D’un coup d’épée Pedro tue l’animal qui tombe aux pieds de la jeune femme, inondant sa robe de sang.  Une inquiétude superstitieuse envahit l’atmosphère, mais le prince met fin au malaise en donnant le signal du départ.  Angoissée par l’incident, la malheureuse reste seule, le cœur tressaillant au moindre bruit.  Elle pressent un drame.  Le soir, Alphonse IV arrive à Coimbra accompagné d’hommes en armes.  Le roi, Gonçalvez, Coelho et Pacheco  entrent dans le palais.  Malgré les supplications de l’infortunée, malgré sa grossesse, les pleurs de ses enfants et les hésitations du roi, elle est mise à mort. 

assassinat d'Inês.
Pour avoir trop aimé, Inès, qui n’a pas trente-cinq ans, tombe victime de la politique, de la jalousie et des intérêts particuliers.  Lorsque Pedro apprend le crime, il s’effondre.  Il est désespéré. Puis, il a une réaction effrayante. Il doit venger ce meurtre odieux.  Les meurtriers, il les connaît. Ce n’est plus des pleurs qu’il doit verser, c’est le sang. Il lève une armée avec les deux frères de la victime et ravage avec sauvagerie les terres des coupables.  Pour arrêter le carnage, Alphonse IV marche avec ses troupes contre son fils.  L’intervention de la reine-mère Béatrice empêche un autre crime, plus abominable encore.  Elle réconcilie le fils avec le père.  Désormais, Pedro ne sera plus jamais heureux.  Il pardonne à son père, mais ne pardonne pas aux assassins.  Ceux-ci prennent peur.  Connaissant le caractère redoutable et farouche de l’héritier du trône, ils demandent au roi de le faire jurer de ne jamais tirer vengeance de la mort d’Inês.  C’est bien méconnaître Pedro ou plutôt trop bien le connaître pour demander cela.  Pedro jure ce que l’on veut, si cela peut rassurer.  Deux ans après ces événements, le vieux roi meurt.  A son tour, Pedro le justicier, comme on l’appellera, monte sur le trône.  Oubliant son serment.  Du reste, un serment fait à des meurtriers est-ce bien valable ?  Il fait immédiatement rechercher Coelho, Gonçalves et Pacheco.  On arrête les deux premiers, le troisième est en fuite.  Le nouveau roi tient enfin sa vengeance.  Conduits devant lui, Pedro le cruel, autre surnom, ordonne que l’on arrache le cœur de Coelho par la poitrine et celui de Gonçalves par le dos.  L’histoire raconte qu’il demanda qu’on lui apporta des oignons et du vinaigre pour le lapin ( lapin se dit en portugais coelho) et aurait déchiqueté les deux cœurs avec les dents. 
Punition d'un assassin.

Justice est rendue à la morte, enfin presque.  « Je suis marié, Inês est mon épouse » déclare maintenant officiellement Pedro 1er. 


.Santa-Clara
Le corps d’Inês qui repose depuis sa mort au couvent Santa Clara aux côtés de la reine Sainte, est transféré le 2 avril 1362 dans l’église d’Alcobaça.  La dépouille voyage en grand cortège, accompagnée des seigneurs, des dames de la cour et du clergé.  Plus de mille personnes les cierges allumés à la main escortent le cercueil.

Alcobaça.

Selon la tradition, à cette occasion, Pedro plaça le cadavre sur un trône à côté du sien, l’habilla d’un manteau pourpre et posa sur sa tête la couronne royale.  Il obligea, ensuite, les seigneurs présents à baiser la main décharnée de la reine morte, en guise d’hommage. 

La reine morte sur le trône.

Le pape d’Avignon, Innocent VI,  refusa de reconnaître ce mariage et la légitimité de leurs quatre enfants.

Pedro 1er.
Epilogue.

Fernao Lopes ( cronicas de Dom Pedro 1er) : « …Dom Pedro commanda que l’on fit un monument de pierre blanche, entièrement et subtilement travaillé, et qu’on la représente, posée sur le couvercle, la tête couronnée comme si elle était reine ; et ce monument qu’il fit placer dans le monastère d’Alcobaça… ».  Pedro meurt à son tour, en 1367.  Dans son testament, il demande que son corps soit conduit à Alcobaça et déposé dans le tombeau qu’il avait commandé en même temps que celui d’Inês de Castro.  Ainsi, s’accomplit la dernière volonté du monarque.  Le désir de reposer enfin auprès de celle qu’il a tant aimé.  Aujourd’hui dans l’église cistercienne d’Alcobaça, leurs tombeaux se font face, pour qu’à la fin des temps, lors de la résurrection des morts, leur premier regard soit pour eux.  Une histoire d’amour jusqu’à la fin du monde.

J.D.

" ATE AO FIM DO MUNDO "

Tombeau d'Inês de Castro.

Tombeau de Pedro 1er;





mardi 3 mai 2011

Poètes oubliés - Emile Blémont.



Emile Blémont voit le jour à Paris en 1839.  Des études couronnées de succès au lycée parisien Louis-le-Grand.  Destiné à une carrière industrielle et commerciale, il étudie en Angleterre et en Espagne.  Malgré ses connaissances, Emile renonce au monde des affaires.  Clerc chez un avoué, il fait son droit et devient avocat.  Bon avocat, une laryngite le contraint à quitter la toge.  Comme il caresse la muse depuis longtemps, Emile entre alors dans l’univers littéraire.  Chez Théodore de Banville, il rencontre Verlaine, se lie d’amitié avec Heredia, Coppée, Leconte de l’Isle.  En 1866,  l’ex-avocat publie  « Contes et Féerie ».  Quatre ans plus tard, pendant le siège de Paris, le sergent Blémont sert dans la garde nationale.  Après la guerre et l’épisode malheureux de la Commune, de nombreux journaux et des revues littéraires publient ses articles.  La mort de son petit garçon, lui inspire un recueil très touchant « En mémoire d’un enfant ».  Victor Hugo l’estime beaucoup et Rimbaud lui offre le manuscrit de « Voyelles ».  Son œuvre est abondante et variée, poésies, théâtre, livres,...  Emile est l’un des fondateurs de la société des poètes français et de la maison de la poésie.  Une âme parnassienne grisée de cadence et de mesure et un rêveur émouvant et un philosophe.  Il décède à Paris en 1927.
J.D.

Panthéisme.

Spectres errants d’une heure brève,
Somnambules d’un noir sommeil,
Puisque notre vie est un rêve,
Notre mort est-elle un réveil ?
 
Quand l’aveugle Foi nous égare,
Quand vient de l’abîme un frisson,
En vain, plus froide et plus avare,
S’offre à nous l’aveugle raison.
 
Mais à la fin, âme ou substance,
L’être chétif et tourmenté
Qui n’est rien dans cette existence,
Sera tout dans l’éternité.
 
Emile Blémont.
(l’Ame étoilée.)