bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

vendredi 28 octobre 2011

Portugal 1910, la fin d'une monarchie, dernière partie


A 13. 30, mission accomplie, le capitaine de Melo revient à Ericeira.  Il rend le cheval à son propriétaire.  L’officier retrouve Bensabat et le prévient que la famille royale va embarquer.  Il faut organiser son transfert à bord de l’Amelia.  

14.00, à Mafra, on prépare le départ.  Les voitures attendent devant la porte sud du palais.  Il faut protéger le roi pendant le trajet.  Qui ira dans la voiture de tête ?  Dans quelle voiture montera le roi ?   Les circonstances sont tragiques, la reine Amelia est nerveuse, elle a vu son mari et son fils aîné, tous deux assassinés sous ses yeux, elle ne veut pas voir Manuel subir le même sort.  Tout est confus, on ne sait rien. Les révoltés marchent-ils sur Mafra ?  Les routes sont-elles barrées ? Des combats ont-ils lieu dans les environs ?  Aucunes réponses, et pas de nouvelles de Serrao. 

On organise pour la protection du roi une dernière garde d’honneur et de sécurité.  Dix lanciers du régiment El Rei, armés de carabines et douze cavaliers, élèves de l’école de Mafra, sabre au clair, forment l’escorte royale.  A l’avant-garde trois lanciers sont chargés de prévenir tout danger.  La première automobile est celle de la reine Amelia accompagnée de Maria Francisca de Meneses, de la comtesse de Figueiro et de Vasco da Câmara.  La reine-mère Maria Pia, la marquise de Unhao et le comte de Mesquitela prennent place dans la deuxième voiture.  Dans le dernier véhicule se trouve le roi, le comte de Sabugosa, le marquis de Faial, JoaoVelez Caldeira et Antonio Waddington.  En protection rapprochée, l’étrier contre la voiture de Manuel, le sous-lieutenant D. Fernando Pereira Coutinho.  Derrière eux, quelques habitants de Mafra, derniers fidèles, les suivent.  Le convoi ainsi constitué quitte Mafra.
Le chef de la station télégraphique de Mafra envoie aux autorités du télégraphe-postal le message suivant : « Leurs majestés le roi D. Manuel et les reines D. Amélia et D. Maria-Pia ont quitté Mafra en direction d’Ericeira. »

Une certaine gravité se lit sur tous les visages.
Les automobiles roulent à une allure modérée et l’escorte suit au trot ou au galop selon les circonstances.  Un trajet sans incidents excepté à la sortie de Mafra où la voiture de Manuel pose un léger problème, vite résolu.

Il est 14.30, quand les automobiles atteignent Ericeira.  La tension diminue parmi les passagers. 
A l’entrée de la ville, épuisé, en nage et couvert de poussière, les bras levés, Serrao fait signe au convoi de s’arrêter.  Il s’approche de la voiture de Manuel. 
« Y a-t-il des nouvelles ? » demande le roi
« Non monseigneur, mais il faut prendre un autre chemin. » répond Serrao sans autre explication.

Rua do Norte

Serrao monte dans la première automobile, il indique la route.  On tourne d’abord à droite.  Le convoi longe la propriété du guide improvisé, puis le mur du cimetière.  Les voitures entrent dans la ville  par la rua do Norte.  Elles évitent de cette manière le centre de la ville où la foule est toujours rassemblée.  Le convoi s’arrête devant l’église Sâo Pedro.  Les voitures se vident de leurs occupants, une partie de l’escorte à cheval met pied à terre.  Les habitants de la place sortent de chez eux, regarder l’événement. Voyant Amelia fatiguée, une dame propose de la faire entrer chez elle  se reposer, le temps de prendre une collation. Avec remerciements, la reine accepte l’hospitalité qui lui est offerte. 

Eglise Sâo Pedro

L’endroit de l’embarquement n’est plus très éloigné, dix minutes tout au plus.  Après s’être rassemblé, le groupe continue à pied.  Le roi, entouré de Serrao et de Faial, ouvre la marche.  Maria Pia donne le bras à Mesquitela et à la marquise de Unhao.  Amelia accompagnée de ses dames Figueiro et D. Maria Francisca de Meneses et ses deux veneurs, les suivent.  S. Lourenço, Velez Caldeira, Waddington, Feijo Texeira et d’autres encore forment la fin du cortège.

Maison où s'est reposée la reine Amelia et point de départ du dernier trajet


Dernier trajet
Maison du docteur Cardoso
Ils prennent la rua Sâo Pedro, aujourd’hui la rua Paroquial, continuent par la travessa do Estrela.  Sur ce trajet, ils passent sur le côté d’une place.  Là, habite un républicain de la première heure, le docteur Cardoso.  Sachant que le roi passait par là, l’un de ses fils a décoré la façade de la maison paternel du drapeau républicain.  Entouré, préoccupé, Manuel ne voit pas la provocation.  Le groupe traverse le rua do Norte, puis arrive dans la rua do baixo pour atteindre le fort. 

Dernier trajet
Dernier trajet
Au fond,  le fort
De là, ils descendent la rampe qui conduit à la plage.  Sur le sable, deux grandes barques de pêche les attendent.  A côté d’elles, Bensabat et sept marins, ils formeront l’équipage.


L'arrivée de la famille royale sur la plage


La nouvelle de l’arrivée du roi et de son embarquement a fait rapidement le tour de la petite ville.  De nombreux curieux se pressent sur les hauteurs de la falaise pour voir Manuel.  Respectueux, personne n’envahit la plage.  Soudain, parmi cette foule, des femmes crient : « Ô notre roi ! ».
Sur la plage, proche du souverain, une petite fille de pêcheur, Serrao la voit et dit : « votre Majesté, embrassez cette enfant.».
Manuel se penche, prend l’enfant dans ses bras, le soulève et l’embrasse.  Le geste royal a touché.  Du haut de la falaise, les clameurs redoublent.  La population enthousiasmée descend vers la plage.
Serrao s’inquiète de voir tant de monde se précipiter sur les rampes, au moment où la famille royale va monter dans les barques.  Comment éviter le choc, la bousculade ?
Mais l’homme a de la ressource.  Habilement, d’un pas calme et décidé, il s’avance vers la foule.  Elle s’arrête.  Il enlève son chapeau.  Dans un grand mouvement, il l’agite en direction de la multitude, et, d’une voix puissante que tous peuvent entendre, il crie : «  Merci ! merci à tous ! pour l’affection que vous témoignez à votre roi. ».  Ensuite, sans perdre de temps, Serrao prend le roi par les épaules et le fait monter dans la première barque.
Dans l’embarcation, Manuel demande à Serrao de rester sur place après leur départ.  A bord du yacht, il remettra une lettre à Bensabat.  Serrao devra la remettre à Antonio Texeira de Sousa, l’ex-président du Conseil.  Après ces quelques mots et un au revoir teinté de saudade, la barque est aussitôt mise à l’eau.

L'embarquement
A bord de l’Amelia, les jumelles rivées aux yeux, les officiers regardent toute cette activité.  Mais sans contact avec la côte, ils ne savent pas ce qui se passe.  Ils voient seulement que les embarcations  vont affronter une mer difficile.  A peine celles-ci se sont engagées sur l’eau que de grosses vagues se fracassent contre les coques.  Les passagers se voient fortement secoués, ils ont beaucoup de mal à tenir leur équilibre.  Sur le yacht royal, Moreira de Sa considère leur situation délicate, il faut les aider.  Il envoie une chaloupe leur prêter main forte pour aborder et monter dans le bateau.  Grâce à ce coup de main, au courage et à une prise ferme, le roi et ses proches se retrouvent très vite en sécurité sur l’Amelia.

Fidèle parmi les fidèles, Serrao attend sur la plage, la lettre de son roi.

Peu de temps après les deux barques reviennent.  Bensabat saute sur le sable.  Serrao se dirige vers lui.  Bensabat lui tend une enveloppe fermée.  Ce sera la dernière mission de Serrao.

16.00, le yacht royal lève l’ancre.  Il prend la route du sud.  Il emporte avec lui le dernier représentant de la monarchie portugaise, le benjamin des rois, Manuel II, victime de ce qu’appelait Umberto d’Italie  « les risques du métier de roi ».


A Portuguesa

                                                 Héros de la mer, Peuple noble           
Nation vaillante, immortelle
Relevez aujourd’hui à nouveau
La splendeur du Portugal !

Entre les brumes de la mémoire
Oh Patrie, on entend la voix
De tes illustres aïeux
Qui te guidera vers la victoire

Aux armes, aux armes !
Sur la terre et sur la mer
Aux armes, aux armes !
Et contre les canons, marcher, marcher !



La plage du départ de nos jours

mardi 18 octobre 2011

Portugal 1910, la fin d'une monarchie, 3ème partie

Manuel II

A 09.00, toujours sans nouvelles, Batista Junior télégraphie à Sintra : « Mafra « excel. Administrateur- Sintra – sommes tous sans nouvelles de Lisbonne – vous demande d’en obtenir par téléphone et communiquer par ici - lesquels sont attendues avec anxiété - prie pour une possible urgence – Batista Junior »

La reine-mère Maria-Pia a décidé, ce matin, de quitter le palais de la Pena.  Accompagnée de la marquise de Unhao et du comte de Mesquitela, elle rejoint son  petit-fils.

A 10.00, toujours sans nouvelles de Lisbonne, inquiet, Manuel interroge l’administrateur du Conseil, a-t-il des informations ?  celui-ci répond par la négative.
Un peu après, arrive aussi de Sintra, la reine Amelia escortée de la comtesse de Figueiro, Vasco Belmonte, de domestiques et de nombreuses malles.  A présent, la famille royale est réunie au palais de Mafra.

Mafra

Il existe dans le monde des endroits que le destin comble ou déshérite.  Construit par le roi Joao V, le palais de Mafra, appartient à ces endroits défavorisés.  Malgré sa splendeur, il n’a jamais brillé.  Aucun roi ne s’y plut.  Les quatre mille cinq cents fenêtres du palais restèrent toujours closes et ses longs couloirs déserts.  Un palais frappé par la malédiction qui ruina le Portugal.


Mafra

Mafra


Dans la demeure royale, règne, ce 5 octobre 1910, une atmosphère de fin de régime.  Le palais semble n’être plus qu’une immense salle d’attente gouvernée par l’incertitude.  Dans les magnifiques salles dégarnies, des enfants et des chiens courent.  Insouciants, ils jouent.  Quelques ouvriers indifférents circulent transportant des matelas.  Dans les galeries se croisent, suspendus aux événements, dans une dernière promenade mondaine, Tomas de Mello Breyner, médecin de la famille royale, le comte de Mesquitela, grand armurier et grand veneur de la reine mère, le docteur Edouardo Burney, désemparé, le chapeau à la main et le vice-président de la compagnie de tabac.  A voix basse, dans une chambre, la reine-mère s’entretient avec le comte de Sabugosa.  Près d’une fenêtre, telle une statue de pierre, lugubre, le veneur de la reine Amelia, Vasco Cabral da Câmara se tient immobile.  De cette fenêtre, son regard déjà nostalgique, s’oriente vers les champs abandonnés par l’homme, et au couchant, vers la mer que les navigateurs portugais avaient conquise et dominée.  L’automne étreint maintenant, cette partie du monde.


Mafra
                           

Offensif, Martin da Rocha s’offre de conduire le monarque jusqu’à Porto.  Dès la décision prise par Manuel, il partira à l’avant, préparer la route.

A 12.02, enfin des nouvelles de Lisbonne, deux télégrammes arrivent à Mafra.  L’un concerne le commandant militaire : «  commandant militaire – Mafra – communique à votre Excellence que le mouvement révolutionnaire est terminé, la république a été proclamée, suis nommé commandant provisoire de division par le gouvernement provisoire de la république – José de Carvalho, général de brigade », l’autre l’administrateur du Conseil de Mafra : « Administrateur du Conseil de Mafra - placer drapeau républicain et attendre ordres, communiquer à la municipalité et aux bâtiments publiques pour mettre en conformité – gouverneur civil – F. Eusébio Léâo ».

Le télégraphiste José Tomas confie au docteur Tomas de Mello que la république est de facto proclamée à Lisbonne.  Commence alors l’idée d’un départ.

Au palais, personne ne sait encore que les révolutionnaires ont gagné, on attend des nouvelles du yacht royal D.Amelia.  Le bateau a quitté le port de Cascais, un peu après 11.00.  Il doit s’ancrer au large d’Ericeira.  De Mafra, le plus proche accès vers la mer est le petit port de pêche d’Ericeira.  Le village et ses maisons blanches bâties sur des falaises, n’est éloigné que d’une dizaine de kilomètres de la résidence royale.  Depuis quelques années, ce port tranquille a commencé sa transformation.  La mode des bains de mer attire vers lui, les jeunes gens de la bonne société de Lisbonne.  L’affluence de plus en plus grande des familles et des amateurs de baignades, encourage certains à créer des établissements de loisirs dans cette cité. 


Yacht royal, D. Amelia
                      

Il est près de midi, quand le représentant du port d’Ericeira, José Jacob Bensabat, voit le yacht royal jeter l’ancre à quelques encablures de la plage.  Aussitôt, il met à l’eau une embarcation.  Aidé de quatre rameurs, il se dirige vers le bateau.  Quand il accoste le vapeur, l’adjudant d’ordonnance de l’Infant D.Afonso, le capitaine d’artillerie José de Melo saute dans sa barque.  Il lui  demande de le conduire à terre.  Pendant le trajet, Bensabat, sans aucunes nouvelles de la capitale, le télégraphe est coupé et les journaux manquent, s’informe auprès de Melo sur la situation dans la capitale.  L’officier explique qu’à Lisbonne, les révoltés ont pris le pouvoir et, que l’Amelia vient chercher le roi pour le conduire à Porto.  Enchaînant, Melo interroge Bensabat : « Le roi est-il à Ericeira ? ».  Il n’y est pas.  Dans ce cas, il sera à Mafra, estime l’ordonnance de l’infant.  A terre, le capitaine veille à ne pas répéter ce qu’il a raconté à bord de la barque.  Melo déclare seulement que le roi part pour Porto.  On lui propose une voiture pour rejoindre Mafra, il refuse poliment.  La route peut être obstruée.  Pour s’y rendre, un cheval est préférable.  La distance est courte.  José Pizani da Cruz lui prête la monture souhaitée.  La bête sellée, José de Melo l’enfourche et galope à toute bride pour rejoindre la famille royale.  Il a pour mission d’aviser au plus vite Manuel que l’Amelia est à sa disposition.

13.00, sans communications télégraphiques, impossible de savoir à Mafra si le yacht est arrivé.  Au palais, un notable d’Ericeira, proche de la famille royale, Franco Serrao se dit que la meilleure chose à faire est de se rendre sur place, pour savoir.  A peine est-il sorti du palais qu’il tombe nez à nez avec José de Melo, sautant de cheval.
- Que se passe-t-il ? demande Serrao.
- Le yacht royal est arrivé à Ericeira répond l’officier.
Rapidement, à la plus grande joie des hôtes, la nouvelle se répand dans tout le palais. 

13.15, dans une salle, devant une carte ouverte, le roi et les dignitaires présents discutent de l’intérêt d’embarquer ou non.  Le commandant de l’école d’infanterie, consulté par le roi, l’encourage à rester : « Mon opinion est que les reines doivent embarquer et le roi doit rester. ».  Après quelques discussions, la décision ne tarde pas : tout le monde embarque.

D. Maria Pia

Serrao intervient : « Je vais à Ericeira préparer l’embarquement de votre Majesté et des reines. ».  Puis, il se rend auprès de la reine mère et lui annonce les résolutions prises.  Maria-Pia, âgée, lasse, écoute, avec cette majesté dont elle est coutumière, la pénible nouvelle.  Simplement, la vieille dame, les mains tremblantes, demande : «  Est-ce par ordre du gouvernement que nous devons partir ? ».  La question n’a pas sens.  Serrao répond avec une franchise d’homme de mer :  « Votre Altesse, à ce stade il n’y a ni ordre, ni gouvernement ».

Apprenant que l’administrateur du Conseil de Mafra a reçu un télégramme de Lisbonne, le roi lui demande quelle en est le contenu.  L’administrateur assure le roi qu’il s’agit d’un télégramme sans importance.  Mais comme le monarque insiste « de qui est ce télégramme ? », l’administrateur se montre embarrassé « c’est signé par le Dr. Eusebio Léao, gouverneur civil de Lisbonne ».  De plus en plus insistant, Manuel le presse.  Finalement, Batista avoue que la république vient d’être proclamée et qu’il est ordonné à toutes les autorités d’arborer, sur tous les bâtiments publiques le drapeau républicain.  Accusant le coup, Manuel prie l’administrateur de ne pas divulguer la teneur de ce message, celui-ci peut être faux.  L’administrateur s’engage à le garder confidentiel.

Mais aux portes du palais et dans la ville, une grande agitation règne parmi la population.  D’autres personnes ont, entre temps, reçu la confirmation de la nouvelle.  Des télégrammes affichés sur les murs annoncent la proclamation de la république.
Devant cette effervescence, Serrao descend rapidement l’escalier du palais.  Arrivé sur la place, il voit l’administrateur du Conseil entouré d’un groupe de personnes.  Batista, malgré sa promesse, lit le télégramme qui lui demande d’hisser le drapeau révolutionnaire.  Le brave homme, fort ennuyé d’avoir à exécuter cet ordre avant le départ du roi, ne sait que faire.  L’esprit toujours actif, Serrao trouve la solution au problème.  Il va enlever l’administrateur.  Il l’invite à monter dans sa voiture.  Ensemble, ils quittent Mafra pour se rendre à Ericeira.  L’administrateur absent, il l’empêche d’exécuter l’ordre donné par Eusebio Leao.  A toute vitesse, ils parcourent les onze kilomètres qui séparent les deux villes.  Ils atteignent le jeu de boules, place centrale d’Ericeira, où une foule fort nombreuse se trouve  rassemblée. Batista, très populaire parmi la population est accueilli avec joie. Mais, à la vue de Serrao, monarchiste notoire, la fièvre monte d’un cran, une certaine tension apparaît dans la foule.  Il entend des commentaires  grossiers à son sujet.  On le provoque, on le siffle, on crie, autour de lui, « vive la république » et on chante « a Portuguesa », la chanson interdite vingt ans plus tôt qui est devenue l’hymne de la révolution et deviendra l’hymne national du Portugal.

La situation chauffe, Serrao a fait ce qu’il devait faire, préserver le roi de l’outrage de voir flotter le drapeau républicain et éviter à l’administrateur de Mafra des ennuis avec le nouveau pouvoir.  Devant le climat qui lui est hostile, il vaut mieux qu’il s’éclipse au plus tôt.
Natif de la ville, Serrao connaît bien tous ses recoins.  D’un pas vif, il se dirige vers une maison de la place, celle de Turibia Fialho, une veuve.  Il frappe à sa porte.  Turibia ouvre.  Serrao a soif, il désire un verre d’eau.  Elle le prie d’attendre un moment.  Elle rentre, il la suit dans l’habitation.  A l’intérieur, Serrao lui déclare aussitôt : « Je ne veux pas d’eau, ce que je veux, c’est sortir par l’autre porte.  Celle qui s’ouvre sur le côté.  Je dois me sauver de ces gens ». 
Il quitte,de la sorte la place, sain et sauf.

A suivre.


Ericeira, de nos jours
                        

mercredi 5 octobre 2011

Portugal 1910, la fin d'une monarchie, 2ème partie

Les dernières heures.


D. Manuel II

16h 30, sonnent à l’église de Mafra.  Le roi Manuel II envoie ce télégramme au président du Conseil des ministres à Lisbonne : «  Bien arrivé, désire nouvelles – Manuel ».

A 18h, dans les couloirs des appartements royaux Manuel rencontre l’administrateur du Conseil de Mafra.  Il lui demande s’il a connaissance de faits nouveaux concernant la situation à Lisbonne.  L’administrateur répond négativement, aucunes nouvelles ne lui sont encore parvenues de la capitale. 

Pour protéger ce jeune roi de vingt ans, de nombreux habitants de la cité se pressent aux portes du palais.  Parmi eux, cartouchières croisées sur la poitrine, à la manière mexicaine, le fusil entre les mains et le chapeau melon sur la tête, le pharmacien Albilio Simoes.

A 18h55, un télégramme arrive de Sintra : depuis 18h les lignes télégraphiques sont coupées avec Lisbonne.

Vers 19h, parti de Sintra, dans une voiture prêtée par la marquise de Val-Flor, Joao de Azevedo Coutinho, adjudant de camp de Manuel débarque à Mafra.  Sans perdre de temps, il expose au roi un plan de campagne.  «  Le mieux, dit-il,  est que votre majesté ordonne de faire venir par ici, toutes les forces qui sont stationnés au pied du palais de la  Pena à Sintra, pour les joindre à celles qui défendent Mafra  et constituer de cette manière un noyau de résistance.  Par chance, l’escorte qui accompagnait votre Majesté n’est pas loin, elle grossira cette troupe ».
Le roi approuve la proposition et déclare : « Je vais à Porto, je vais à Porto ».

Aussitôt, Azevedo Coutinho ajoute :

«  Monseigneur, Votre Majesté ira de régions en régions. Elle lèvera et réunira  des forces avec lesquelles  elle pourra établir une base pour les opérations futures.  S’il est possible, comme je le crois, que l’on peut stabiliser la situation à Porto. Tant mieux.  A défaut il faut se retirer plus loin,  à Valença do Minho.  Et de faire de cette ville le point d’appui pour la reconquête. »

Palais de la Pena, Sintra

Le roi entérine ce plan.  « J’ai confiance en vous, Joao, et en vos conseils. Je pars pour Porto » dit le souverain qui ne règne que depuis deux ans.

Le soir, vers 19h50, arrive de Sintra, D. Amélia, mère de Manuel.  La reine apporte le décret de suspension des garanties (déclaration de l’état de siège). Manuel doit le signer.  Il se repose, elle le réveille.

Vingt minutes plus tard, un télégramme part de Mafra – « Urgentissime – Président du conseil – Lisbonne - signé décret – demande nouvelles – ici bien – Manuel. »

Le cadran de l’horloge marque 20h20, quand un télégramme envoyé de Lisbonne informe le roi : « … la révolte a été matée, les révolutionnaires sont cernés dans le haut de l’avenue de la liberté … »

Quelques minutes après, arrive un autre message télégraphié de Lisbonne : « A sa Majesté le roi – Mafra – à cette heure, je peux informer votre Majesté que les révoltés ne peuvent plus sortir du haut de l’avenue de la liberté, où ils se sont rassemblés – baisers respectueux à votre Majesté – Président du conseil des ministres »

A 21h, le roi répond : « Urgentissime – Président Conseil – Lisbonne - grand remerciement pour votre télégramme - demande de pouvoir avoir des nouvelles plus détaillées, aussi sur les navires et marins – ici bien – que Dieu aide – bien affectueusement – Manuel ».

Entre-temps, plus d’une centaine de personnes de toutes classes, la majeure partie armée montent la garde autour et dans le palais.  Des policiers, des civils, des notables et des fonctionnaires composent cette troupe.

D. Amélia

21h01, la reine D. Amélia envoie successivement trois télégrammes à Sintra.  Le premier est adressé à la grand-mère de Manuel, la reine Maria Pia :
« – Manuel le mieux possible – baiser – Amelia ». 
Le deuxième contient une demande d’information : « urgent – Comte Figueiro – Victor – Sintra – roi meilleur possible – inquiétude - parlent d’agitation Sintra - suis dans l’attente d’une réponse - demande pour prendre décision retour ou non - non étonné si retard – souvenirs – Amelia ». 
Le dernier, écrit en français, est destiné aux services du palais : « Kerausch – Pena – Sintra – roi le mieux possible - attendez pas pour dîner – Amélie ».

La reine a décidé de partager le dîner de son fils.  Amélia a choisi de ne pas laisser Manuel seul, en ces instants terribles.

21h15, la famille et les proches se réunissent dans la salle à manger.  Malgré l’abandon des serviteurs acquis aux idées républicaines et à la révolution, le roi reste constant.  Manuel fait honneur au repas confectionné par la gouvernante de la famille, Dona Francisca de Mota de Pindela.  Le menu se compose d’un bouillon de poule au riz, de perdrix rôties, de petits pains accompagnés d’œufs  et pour dessert, du riz au lait.

21h30, arrivent en voiture, Joao Velez Caldeira et Antonio Waddington.  Le comte de San Lourenço, fils de Sabugosa, répand une bonne nouvelle.  Le comte affirme que les révolutionnaires sont arrêtés et la révolution étouffée.

Vers 21h50, débarquent à Mafra, le lieutenant de la police spéciale du roi, Feijo Texeira et le commandant du régiment des Lanciers n°2, stationné à la Pena.  Surgissent encore, le sous-lieutenant Dom Fernando Pereira Coutinho et dix cavaliers.  A marche forcée, presque toujours au galop, armés de lances, de sabres, de carabines et revêtus de l’uniforme de combat, ils viennent défendre Manuel. Tous agissent volontairement.  Ce renfort trouve un logement à l’école d’infanterie et leur chef à l’hôtel Castro.

22h45, la table desservie, la reine D. Amelia après avoir embrassé son fils, rentre à Sintra.

23h30, Des nouvelles encourageantes et rassurantes sur la situation à Lisbonne parviennent à Mafra.

Le mercredi 5 octobre.

A minuit,  le roi rejoint ses appartements. Quarante-cinq minutes plus tard, la reine Amélia arrive à Sintra où le calme règne.
A 01h, Manuel passe une chemise de nuit et se couche. 

Mafra, la dernière garde

La garnison de l’école militaire monte la garde devant les arcades sud du palais.  La galerie qui conduit à la porte du roi est protégée par un grand nombre d’hommes en armes.  La tour sud est occupée de l’intérieur par des civils armés.

A 02h40, un télégramme expédié de Cascais arrive à Mafra : « Adjudant de service – Mafra – yacht Amelia en danger d’être saisi par les révolutionnaires à Lisbonne a jeté l’ancre à Cascais - attends ordre de sa Majesté le roi – Moreira de Sâ ».

A 04h00, le monarchiste, Martins da Rocha, propriétaire des mines de Sao Pedro da Cova, rejoint le palais de Mafra.  Il arrive de Porto.

A 05h00, l’administrateur du Conseil à Mafra, Batista Junior télégraphie au gouverneur civil de Lisbonne.  Il lui demande des nouvelles sur les « événements de ce jour qui sont sincèrement déplorables ».  Batista veut pouvoir rassurer la population.

Mafra, la dernière nuit

Vers 07.00, Manuel II se réveille.  Il ne sait pas encore qu’il vient de passer sa dernière nuit sur le territoire portugais.  Un peu avant, Joao de Azevedo Coutinho est parti pour Sintra.  Il veut convaincre les deux reines de quitter le palais de la Pena.  Coutinho souhaite qu’elles s’installent à Mafra, qu’elles se tiennent aux côtés du roi.  

Pour encore renforcer la protection du roi, arrivent de Sintra, un détachement de lanciers, des chasseurs, 6 agents de police judiciaire et 16 gardes de corps de la police civil de Lisbonne. 

A présent, le jour se lève, et, d’une fenêtre de ses appartements, Ayres de Sâa observe le va-et-vient des soldats devant la poudrière.  Soucieux, le bibliothécaire, se dit que jamais, il n’avait connu un tel dispositif.  La situation, pense-t-il, est vraiment grave, très grave.

A suivre…
 
Le palais de Mafra