bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

dimanche 26 février 2012

Canova Antonio - 2e partie - l'emballeur du pape


Pie VII enlevé et retenu prisonnier à Fontainebleau. Les prélats exilés. La terreur planait sur Rome. Après la destruction du pouvoir pontifical, Rome était devenue une préfecture française. Les nouvelles autorités bannissaient ou incarcéraient tous ceux qui par leur naissance, leur état ou leur fortune, pouvaient éveiller un sentiment de résistance. Cependant le nouveau pouvoir épargna Canova. Sa grande réputation et le crédit qu’on lui savait auprès de Bonaparte, le protégeaient. Une nouvelle fois, dans Rome, la misère réduisit la population à la famine. Fraternel, une fois de plus, il porta secours aux affamés. En une année de détresse, ce cœur généreux, partagea, sur sa fortune personnelle, entre les pauvres, 140.000 francs de l’époque. Ne s’arrêtant pas, il protégea aussi les artistes contre l’arbitraire. En 1809, de jeunes pensionnaires espagnols se trouvaient à Rome. Ils refusaient de prêter serment de fidélité au nouveau gouvernement de leur pays. Ils le regardaient comme illégitime et usurpateur. Canova apprit leur arrestation par les Français et leur enfermement dans le château Saint-Ange. Sans hésiter, il trouva le général responsable, plaida leur cause, et obtint leur liberté. Ce n’était pas assez de les avoir délivrés, il s’occupa encore d’eux.

Un autre artiste, sculpteur espagnol, nommé Alvarez, par l’installation du frère de Napoléon en Espagne, avait perdu les secours de sa patrie. Son atelier rempli d’ouvrages, il ne trouvait pas de clients. Ancien ambassadeur, Beauharnais, alors vice-roi à Milan, fut sollicité de faire l’acquisition de certaines de ses oeuvres. Mais il ne s’y voulait déterminer qu’après l’avis de Canova sur leur mérite. Canova répondit : « Les ouvrages d’Alvarez restent invendus dans son atelier, parce qu’ils ne sont point dans le mien.».
Il apprit encore qu’il était question, à Venise, de convertir en salle de bal la magnifique bibliothèque de Saint-Marc. Il dénonça à l’Empereur cet attentat contre l’ouvrage de Sansovino.
Il refusa toutes les propositions d’emplois politiques que les Français lui firent. Devant le vol des œuvres d’art, il donna sa démission de la direction des musées. Cette démission embarrassa les autorités. Il consentit à la retirer sur la promesse que dorénavant plus rien ne serait enlevé des collections des musées. Mais s’il resta en poste, il refusa toute espèce de traitement. Elu sénateur par décret impérial, il refusa cette distinction.

Napoléon après avoir dépouillé Rome de ses plus beaux ouvrages, voulait à présent la dépouiller de son plus grand artiste. Canova reçut de la part de l’empereur les plus honorables et obligeantes propositions de s’établir à Paris. Dans une lettre, le sculpteur italien déclina poliment l’offre. Mais il se rendit tout de même en France pour faire le buste de la nouvelle impératrice, Marie-Louise. Il arriva au mois d’octobre 1810 à Fontainebleau. De là, il se rendit à Paris. Devant Napoléon, il lui expliqua son impossibilité de quitter l’Italie.
  • Paris est la capitale de l’art, il faut que vous y restiez, et vous y serez bien - rétorqua l’empereur-… c’est ici votre centre. Ici sont réunis les chefs-d’œuvre antiques ; il ne manque que l’Hercule Farnèse, et nous l’aurons aussi.
  • Mais ne laisseriez-vous rien en Italie ?... interrogea l’artiste

A cela, il n’y eut pas de réponse.

De retour à Rome, l’académie Saint-Luc décerna à Canova le titre de prince de l’académie.

Quelques années passent, le rêve de Napoléon s’effondre. L’ex-empereur retrouve un second exil à Sainte-Hélène, le dernier cette fois-ci. L’aventure est terminée ; il ne reviendra plus.

L’anarchie régna à Rome de 1809 à 1814. Elle avait favorisé la déprédation, le détournement et le vol d’ouvrages antiques. A peine Pie VII rassit sur le siège pontifical, que Canova reprit sa place auprès de lui. Pour lutter contre les trafics, l’artiste rétablit l’académie d’Archéologie. Sans secours financiers du gouvernement, une fois de plus, il employa ses propres deniers pour empêcher cette académie de disparaître et protéger de cette manière les œuvres d’art.

Trop honoré, trop célèbre, trop estimé, trop de succès, éveillèrent contre lui, l’envie de certains. On l’accusa de plagiat, on l’accusa encore d’avoir collaboré avec l’ennemi. Devant de tels mensonges, Canova garda longtemps le silence. Il le rompit enfin et défia qui que ce fût de l’égaler dans sa fidélité au Saint-Père, et dans son zèle pour les intérêts de Rome et des Beaux-Arts. Ses détracteurs se turent.
Lors de son troisième voyage à Paris, en 1815, le sculpteur reçut un accueil beaucoup moins chaleureux. Il venait, en mission diplomatique, présider, au retour en Italie des objets d’art « empruntés » par les Français victorieux lors des campagnes dans ce pays.

Depuis 1795, les chefs-d’œuvre flamands, hollandais, italiens, allemands et espagnols, trophées des campagnes militaires de la république et du 1er empire, affluaient sans cesse à Paris. Tableaux, statues, bronzes, camées, médailles, manuscrits et livres précieux remplirent, jusqu’en 1815, les musées français.

Après la chute de Napoléon, le congrès de Vienne décida que ces chefs-d’œuvre d’art et de science devaient être rendus à leurs propriétaires et aux villes dont ils faisaient l’ornement. En conséquence, les chefs-d’œuvre pris en Italie, en Allemagne, en Espagne et dans les Pays-Bas devaient être retirés du muséum de Paris (le futur musée du Louvre) et des autres lieux où ils pouvaient se trouver. Chaque nation nomma et envoya des commissaires chargés de cette récupération.

En France, les mêmes hommes qui avaient spolié, les plus faibles prétendaient à présent refuser au plus fort le droit de reprendre ce qui lui avait été pris lorsqu’il était le plus faible.

Au premier rang de ces hommes, le baron Vivant Denon, directeur général du muséum. Lui et d’autres tentèrent de rendre odieux le rôle des commissaires chargés par le congrès de Vienne de récupérer les oeuvres volées dans leur pays. Pour une raison ignorée, Denon s’acharna plus particulièrement sur Canova. Était-ce le mépris de l’ancien courtisan de Versailles, pour le fils d’un tailleur de pierres italien ou la jalousie pour un grand artiste étranger qui avait toujours protéger les oeuvres d’art de son pays ? Toujours est-il que Vivant Denon, va tout tenter pour humilier Canova et l’empêcher de remplir sa tâche. L’envoyé de Rome passa d’abord pour être le voleur de ce dont les Français avaient dépouillé Rome, ensuite pour un intrigant et un lâche, et pour finir pour un artiste pornographe qui ferait mieux de retourner à son travail que de jouer au commissaire des Etats du Vatican.

Louis XVIII replacé sur le trône par les puissances alliées, ne pouvait résister aux reprises des puissances étrangères. Il ne pouvait non plus heurter, par une coopération quelconque, les Français. Dans cette position ambiguë, le nouveau gouvernement français, ne pouvant s’opposer aux restitutions, se tint dans une neutralité, ou pour mieux dire une nullité absolue d’action, ne résistant et ne se prêtant à rien. Il laissait ainsi à Denon et à ses amis les mains libres pour régler cette affaire.
Telle était alors l’esprit du moment en France, faussé par une longue habitude de prendre, que l’idée de rendre n’était plus comprise.

Pour s’opposer aux restitutions, on ferma le musée certains jours, on conseilla aux ouvriers de ne pas obéir à l’enlèvement des pièces, on cacha des objets. A l’extérieur, comme à la plus belle époque de la révolution, une populace excitée, rendait difficile le déménagement. On devait souvent recourir à une protection armée. Le directeur général recourait à mille subterfuges pour garder des œuvres qui ne lui appartenaient pas.

Il traitait avec dédain Canova, un personnage, selon lui, peu instruit.
Contre Canova, le baron Denon demanda l’aide de son ami, le baron de Humboldt, ambassadeur de Prusse. Le diplomate devait décourager et rendre impossible la mission du représentant de Rome. Pour pouvoir continuer, Canova se vit obligé de demander l’intervention du congrès.
Malgré tout, certains Français, et parmi eux des artistes, comprenaient fort bien l’inconfortable situation de Canova et le soutenaient.

La mauvaise volonté de l’administration à restituer les œuvres volées confrontait Canova sans cesse à de nouvelles tracasseries. Il protesta auprès du ministère contre le manque évident de collaboration des personnels du muséum. Le sculpteur, prince de l’académie de Rome, rappela qu’il était l’ambassadeur du pape. Alors, reprenant le mot de Talleyrand, méprisant, Vivant Denon lui répondit - C’est l’emballeur du pape, que vous voulez dire, oubliant que lui-même fut l’emballeur de Napoléon et qu’il s’était fait depuis receleur.

Pour récupérer les œuvres du Vatican, Canova fut à plusieurs reprises obligé d’invoquer le recours à la force militaire des alliés.

Les instructions de Canova, cependant, lui laissaient une certaine liberté de décision. Par elles, il était autorisé par le pape à faire des concessions. Ainsi, de négociations en négociations et malgré les mauvais rapports entre les parties, Canova finit, tout comme les aimables commissaires de Florence, par offrir au futur musée du Louvre plusieurs objets, qui modéraient la rigueur de sa mission. Il laissa ainsi à la France, la statue colossale du Tibre, la grande et belle Minerve colossale trouvée à Velletri. La Melpomène, le Tibère en toge, l’Auguste, l’Isis en marbre noir, le tombeau des Muses, le tombeau des Néréides, trois candélabres, le buste d’Homère, le Démosthène assis, le Trajan assis, une chaise rouge, deux sphinx, un trépied, un trépied d’Apollon, un autel rond orné de bas-relief, deux sièges de Bacchus et de Cérès, le tout estimé à 652.000 francs de l’époque. Joli cadeau de la part d’un « intrigant ».

Malgré les nombreux embarras de l’administration du baron Denon, Canova avait réussi à se faire restituer, 60 tableaux, 44 statues, 14 bas-reliefs et bustes, 4 bronzes, 16 vases étrusques, et quelques autres objets divers. Sa mission terminée, dégoûté, il fut impatient de quitter Paris.

A son retour à Rome, l’envoyé du pape fut dédommagé des « désagréments » parisiens. Il reçut bon nombre d’honneurs. L’académie Saint-Luc alla en corps à sa rencontre, le pape le reçut en audience solennelle et lui remit le diplôme de son inscription au livre d’or du Capitole. Le souverain Pontife le nomma marquis d’Ischia, avec une dotation de 3000 écus romains. Désintéressé, l’argent n’était pour lui que le moyen d’entreprendre de nouvelles œuvres, Canova consacra cette somme à l’encouragement des arts. Il fonda cinq prix annuels en faveur des élèves de l’académie de Rome. Il ne cessa toute sa vie d’aider les jeunes artistes de ses conseils et de sa bourse. Une de ses dernières occupations de sa vie fut l’érection d’une église à Possagno sur le modèle du Parthénon. Ce monument ne put être achevé avant sa mort, dans son testament il affecta des sommes considérables pour son achèvement.

Les travaux que Canova exécuta pendant trente années sont considérables. Il a laissé 53 statues, 12 groupes, 14 cénotaphes, 8 grands monuments, 7 figures monumentales, 2 groupes de grandeur prodigieuse, 54 bustes, 26 bas-refiefs, ainsi qu’une foule d’ouvrages non terminés. Bien que la sculpture n’absorbait pas tous ses instants, Canova ne se fit jamais aider dans ces travaux. Il peignit aussi, on connaît de lui vingt-deux tableaux, dont plusieurs de grande dimension.


Canova mourut à Venise le 13 octobre 1822, à l’âge de soixante-cinq ans. Toute l’Italie célébra avec la plus grande magnificence ses obsèques.
Dans l’église Santa Maria Gloriosa dei Frari, à Venise, une pyramide en marbre de Carrare accueille son cœur. Ce monument funéraire fut sa propre création. Pour sa construction, l’Angleterre a fourni le quart de la dépense ; la France et l’Allemagne ont contribué pour un autre quart ; l’Amérique du Sud y a souscrit pour un peu,  enfin, l’Italie et les villes vénitiennes ont fait le reste. Jamais talent ne reçut un plus vaste hommage international.

L’académie vénitienne des Beaux-Arts reçut sa main droite et Possagno, son corps.

«  Ainsi le Praxitelles (sic) romain offre dans ses ouvrages, tous les caractères avec toutes les beautés. Quelle distance d’Hébé à Thésée, et d’Hercule aux Trois Grâces ! que d’élégance ici ; et là, que de vigueur ! Avec quel bonheur l’habile artiste passe des proportions les plus colossales, aux formes les plus délicates, d’où n’approche point ce que la nature même a de plus parfait…C’est le secret des grands maîtres. Michel-Ange a fait le Moïse et le Cupidon, comme Phidias avait fait le Jupiter Olympien et le bouclier de Minerve. » Tableau de Rome vers la fin de 1814 – Guinan Laoureins.

lundi 20 février 2012

Canova Antonio, fils d'un tailleur de pierres, 1ere partie



Antonio Canova

Le goût cède facilement à l’enthousiasme général.  En matière de littérature et d’art, il est toujours difficile de mesurer exactement le génie.  Célèbres aujourd’hui, oubliés demain, tel est la règle commune pour beaucoup.  Stendhal dans son « Itinéraire dans Rome au voyageur pressé » recommande une visite à l’atelier de Canova, mais oublie Michel-Ange - une petite mention pour la chapelle Sixtine, pas plus – Du reste, l’auteur de la Chartreuse de Parme, ne fait guère d’éloges au génie de la Renaissance.

Canova, que Stendhal exaltait, sacrifiant à la mode d’alors, est à présent quasi oublié.  Les critiques lui accordent un talent aimable, gracieux et c’est tout !  Et pourtant…  Fils d’un tailleur de pierres, Antonio Canova naquit avec un véritable sens de la sculpture. 

Il vit le jour près de Trévise, dans le gros village de Possagno, le 1er novembre 1757. 
Dès l’âge de cinq ans, la masse et le ciseau en main, il tailla la pierre.  Vers ses quatorze ans, devenu orphelin, son adresse à manier le ciseau, attira l’attention du sénateur vénitien Falieri.  A Venise, ce Falieri plaça le bambin chez le sculpteur Torretti.  Un sculpteur qui ne laissera pas de grands souvenirs.  Cependant Antonio fit auprès de lui de réels progrès.  La ville conserve encore ses premiers essais : deux corbeilles à fruits en marbre, destinées à orner la rampe d’escalier de Falieri.  Après le décès de Torretti, le jeune Canova continua quelque temps son apprentissage chez Ferrari, neveu de son premier maître.  Il le quitta pour l’académie des Beaux Arts où son habilité lui fit remporter plusieurs prix.

Quelques années vont passer.

Depuis trop longtemps, privilégiant la peinture et l’architecture, la cité des doges ne possédait pas un statuaire digne d’elle.  La présence dans ses murs du jeune Canova au talent prometteur va lui en donner l’occasion.

Il a vingt-deux ans lorsqu’il signe son premier groupe : Dédale et Icare.  Enchanté de cet ouvrage, le sénat vénitien lui octroie une pension de 300 ducats, et l’envoie parfaire son éducation artistique à Rome.

Le jeune artiste ne se doutait pas encore qu’il était destiné à renouveler avec éclat les doctrines de l’antiquité.  Il y avait chez lui, une vivacité extraordinaire d’imagination et une capacité d’action et d’exécution rapide.  Il joignait à cela une passion d’apprendre.  De ses nombreuses lectures, jaillissaient sous son burin tous les héros antiques de ses bas-reliefs : La mort de Priam – Socrate buvant la ciguë et congédiant sa famille – le retour de Télémaque à Ithaque - …

En 1779, après trois siècles de fécondité et de productions remarquables, l’Italie avait épuisé tous les goûts, toutes les manières et tous les styles.  L’art du Bernin triomphait toujours.  La statuaire avait perdu son caractère de l’antique.  Cependant au XVIIe et XVIIIe siècles, les découvertes de villes anciennes, Velléia, Pompéi, Herculanum ranimèrent la curiosité des amateurs et des savants.  Elles rallumèrent le flambeau de l’antiquité chez certains artistes.  Par son Histoire de l’art antique, Winkelmann donna une forte impulsion au renouveau du goût ancien.  Déjà quelques uns militaient en faveur d’une révolution artistique, devenue nécessaire par l’immobilisme de l’art.  Leurs conseils et leurs travaux intéressèrent Canova.  Le jeune homme étudia, entre autre, la théorie de l’art comme la concevait le peintre néo-classique Raphaël Mengs, directeur de l’académie de peinture de Rome.  Il mit en pratique toutes les leçons acquises.  Il se fraya ainsi une route nouvelle, celle du néo-classicisme.  Le succès arriva vite, Amour et Psyché, Vénus et Adonis, les trois grâces, Pâris, Mars et Vénus et surtout Madeleine repentante qui est sans doute son chef-d’œuvre. Un sujet tout neuf que cette Madeleine, aucun ouvrage, aucune tradition ne lui prescrivait le genre, le style, l’ajustement ou la proportion, rien dans l’antique, rien dans le moderne.  Une vraie création moderne qui sera entourée, lors de son exposition, d’une admiration universelle.

De si belles œuvres avaient rendu Canova célèbre dans toute l’Europe.  Pendant les troubles de l’Italie, en 1798 et 1799, Canova demeura à Rome.  La misère ravageait la population.  Chaque jour, la situation s’aggravait.  L’artiste eut pitié de ses malheureux compatriotes.  Abandonnant ses travaux, il employa tous ses moyens pour les secourir.  Ne pouvant rien faire de plus, Canova prit le parti de retourner, chez lui, à Venise.  De là, il accompagna en Autriche et en Prusse le prince vénitien Rezzonico. 

Pendant le voyage, de grands changements s’opéraient dans les affaires de l’Europe et dans la situation politique de l’Italie.  Le pape Pie VI, prisonnier, était mort en France.  Un nouveau pape fut élu à Venise et ramené à Rome, sous le nom de Pie VII.

Canova revint à Rome.

A son retour, l’artiste mit de l’ordre dans ses affaires.  Jusqu’à présent il avait vécu à peu près seul, trop occupé de ses travaux pour penser à la gestion de son atelier.  Il sentit le besoin de remettre la partie administrative de son « entreprise de sculpture » à son frère. 
Il ne vécut plus, dès lors, qu’entre sa mère, son frère et dans son art pour son art.

Le pape Pie VII  rétablit pour Canova, un emploi autrefois créé pour Raphaël par le pape Léon X ; il le nomma inspecteur général des Beaux-Arts.  Le premier projet que notre nouvel inspecteur présenta au pape fut celui d’agrandir le musée du Vatican.  Il fit encore entreprendre des fouilles, qui s’étendirent depuis l’arc de triomphe de Septime Sévère jusqu’au Colisée.  Il proposa aussi une foule d’autres projets …

Demandé en France par Bonaparte, il quitta Rome en octobre 1802.  Accueilli à Paris avec tous les témoignages d’estime et d’admiration, Canova fut reçu comme membre associé étranger de la classe des Beaux-Arts de l’Institut, auquel appartenait un certain Denon, surintendant des Beaux Arts. 

Canova vint au château de Saint-Cloud pour modeler la figure du premier Consul.  Il devait faire sa statue colossale.  L’artiste venait souvent dans l’espoir de faire poser son modèle.  Ces séances causaient à Bonaparte tant d’ennui et d’impatience qu’il ne posait que rarement et pendant peu de temps.  «  Encore poser ! mon Dieu, que cela est ennuyeux ! » murmurait-il en haussant les épaules.  Evidemment, l’image s’en ressentait.  Cependant Bonaparte montrait à Canova les plus grands égards.  Chaque fois qu’on l’annonçait, il envoyait Bourrienne, son secrétaire, lui tenir compagnie.  Le brave homme restait avec le sculpteur jusqu’au moment où le premier Consul pouvait lui accorder la séance.  Canova éprouvait beaucoup de déplaisir de ne pouvoir étudier convenablement son modèle, et le peu d’empressement de Bonaparte refroidissait son imagination.  Achevée quelques années plus tard, la statue représentait Bonaparte en « Mars désarmé et pacificateur ».  Beaucoup de monde s’accorda à dire qu’elle ne correspondait pas à ce que l’on attendait.  Bonaparte s’exclama en voyant l’œuvre : « Canova croit que je me bats à coups de poing ? ».  L’empereur interdit de la rendre publique.  Pour la dérober aux regards, un rideau de soie verte la recouvrit et on clôtura de planches l’ensemble.  Aucun journal, n’en rendit compte - Blackout - Refusée, la statue du dieu de la guerre, fut abandonnée et oubliée dans une salle basse du Louvre.  Elle devint le 16 septembre 1816, pour la somme de 66.000 francs, la propriété du duc de Wellington.  Le vainqueur de Waterloo la fit placer dans le vestibule de son hôtel de Londres, où elle se trouve encore.

« L’élévation de cette statue est telle, disait ironiquement Byron, que, vue de dos, la partie mitoyenne du corps de Napoléon se trouve juste à la hauteur de Lord Wellington ».

Canova juge suprême en matière de beauté à cette époque prendra une belle revanche.  Sa plus célèbre sculpture la Vénus Victrix ou la Vénus triomphante va bientôt voir le jour.  Une « Vénus moderne », impériale, aux formes créées pour le marbre, et, dont les lignes du visage reflèteront, dans peu de temps, la lumière des camées antiques.


Parmi les trois sœurs de Bonaparte, Pauline était la plus jolie.  Elle ne l’ignorait pas. 
Elle avait épousé en premières noces le fils d’un meunier de Pontoise, le général Leclerc.  Commandant de l’expédition de Saint-Domingue en 1801, il y mourut de la fièvre jaune.  Madame Leclerc, qui avait suivi son mari dans cette aventure, devenue veuve retourna naturellement en France.  Elle traînait après elle le cercueil de son mari qu’elle ne quittait pas d’un oeil.  Quoique fort lourd, ce cercueil renfermait l’âme plutôt que le corps du général, car il ne contenait que l’or et les bijoux que la Belle avait rapporté de Saint-Domingue.  Pauline épousa par après, le prince Camille Borghèse. 

Ce fut pendant ce deuxième mariage que se situe l’épisode de son marbre par Canova. Elle fit faire, allongée, sa statue en Vénus par le célèbre artiste.  Elle parut comme Vénus naissante de l’écume des eaux parut.  Pauline se montra sans aucune draperie au ciseau de Canova.

Cette statue est l’une des plus gracieuses que Canova a produite. Vénus sortie victorieuse du combat de la beauté se repose sur un lit.  Elle semble jouir du prix de sa victoire : la pomme d’or qu’elle tient d’une main.

Ce marbre triompha au palais Borghèse, où il fut, pendant un certain temps, exposé et livré aux jugements du public.  Le cortège des amateurs romains et étrangers ne cessait pas de se presser autour de la Vénus.  Le jour ne suffisant plus à leur admiration, on ouvrit le soir.  Ils obtinrent ainsi de pouvoir considérer la déesse à la lueur des flambeaux.  On fut enfin obligé d’élever une barrière pour protéger la statue contre la foule, qui ne cessait de s’entasser.

Après cet intermède, Napoléon s’empara de l’Etat pontifical.

A suivre…

Vénus Victrix

dimanche 5 février 2012

Un autre traité franco-russe de Tilsit ?

Alexandre Ier

1807, l’entrevue de Tilsit, l’image est connue, une barge sur un fleuve, le Niémen, deux empereurs, l’un Français, Napoléon Ier, l’autre Russe, Alexandre Ier.  Tous deux signent le fameux traité qui clos la guerre.  Les articles de ce traité sont à présent bien connus.

Mais il semble qu’il existe ou qu’il ait existé un autre traité franco-russe de Tilsit.

En 1812, paraissait, dans la gazette de Madrid, les clauses d’une convention secrète signée à Tilsit en 1807.  Cet accord-là, plus court, et sensiblement différent du premier, portait seulement les signatures du prince russe Kourakin et de Talleyrand.  Ce curieux document sera encore publié en 1822, dans quelques journaux britanniques.

Roi de Naples, puis d’Espagne, Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, a toujours nié l’existence d’un tel arrangement.

En supposant l’existence authentique de ce document, il serait le véritable point de départ de l’affaire des guerres de la péninsule ibérique depuis 1807.  Le Tsar abandonnait complètement l’Espagne et le Portugal à Napoléon.  Il prouverait encore que cette grande opération de renversement de dynasties, dont les suites seront désastreuses, n’entrait pas seulement dans les plans de Napoléon, mais qu’elle était liée à un système général de partage de l’Europe entre la France et la Russie.

Talleyrand
                                                               
Il est difficile de savoir si ce traité a véritablement existé.  Si cela était, toute trace de ce document compromettant  pour les signataires a dû probablement disparaître en 1814.  A cette époque, Napoléon logeait à l’île d’Elbe et l’empereur Alexandre habitait à Paris chez Talleyrand.  L’empereur de Russie et l’ancien ministre avaient le plus grand intérêt à détruire cet accord et rien ne leur était plus facile. 

Quoiqu’il en soit, vrai ou faux, voici les articles de cette curiosité :

Art. 1er. La Russie prendra possession de la Turquie européenne, et étendra ses possessions en Asie autant qu’elle jugera convenable.

Art.  2.  La dynastie des Bourbons d’Espagne, et la maison de Bragance en Portugal, cesseront de régner.  Un prince de la famille Bonaparte succédera à chacune de ces couronnes.

Art.  3.  L’autorité temporelle du pape cessera ; Rome et ses dépendances seront réunis au royaume d’Italie.

Art.  4.  La Russie s’engage d’aider la France de sa marine pour la conquête de Gibraltar.

Art.  5.  Les Français prendront possession des villes situées en Afrique, telles que Tunis, Alger, etc. ; et, à la paix générale, toutes les conquêtes que les Français pourront faire en Afrique seront données en indemnité aux rois de Sardaigne et de Sicile.

Art.  6.  L’île de Malte sera possédée par les Français, et il ne sera fait aucune paix avec l’Angleterre tant qu’elle n’aura pas cédé cette île.

Art.  7.  Les Français occuperont l’Egypte.
Art.  8. La navigation de la Méditerranée ne sera permise qu’aux navires et vaisseaux français, russes, espagnols et italiens ; toutes les autres nations en seront exclues.

Art.  9.  Le Danemark sera indemnisé dans le nord de l’Allemagne par les villes hanséatiques, sous la clause cependant qu’il consentira à remettre son escadre dans les mains de la France.
Art.  10.  Leurs Majestés les Empereurs de Russie et de France conviendront ensemble d’un règlement d’après lequel il ne sera permis, à l’avenir, à aucune puissance de mettre en mer des navires marchands, à moins qu’elle n’entretienne un certain nombre de bâtiments de guerre.