bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

lundi 21 mai 2012

Napoléon et l'affaire d'Espagne 4

L’Espagne, depuis le traité de Bâle, avait tout sacrifié, à l’alliance française. A Trafalgar, la France avait dévoré les derniers débris de sa grande armada.  Toutes les fois que le Directoire, le consulat puis l’empereur avaient demandé un sacrifice, l’Espagne exsangue s’était débrouillée pour satisfaire l’exigence.  Son trésor vidé, sa marine disparue, on ne pouvait plus demander à ce pays que ses armées.  Alors l’empereur exigea que 25.000 hommes fussent mis à sa disposition.  Les vues de Napoléon étaient simples ; il acquérait d’abord, à bon compte, un corps d’infanterie solide – les meilleures troupes espagnoles - ensuite il affaiblissait les forces militaires de l’Espagne - on n’est jamais assez prudent avec ses alliés - Déjà, 80.000 soldats français se répartissaient le territoire espagnol.  Maîtres de nombreuses places fortes, ils occupaient le royaume.  
  
Napoléon et Murat

La décision de l’empereur de ne pas reconnaître Ferdinand VII comme le nouveau souverain de l’Espagne ne tarda pas à provoquer de nombreux remous. On connaissait mal l’Espagne et ses habitants.  On pensait avoir à faire à des Hollandais, à des Belges ou encore à des Westphaliens, peuples soumis et paisibles, les Espagnols représentaient une autre paire de manches.  Un peuple fier et orgueilleux qui sous ses haillons, fidèle au souvenir de son ancienne grandeur, parlait fort et qui pour un rien, sortait la navaja de la ceinture. 
Les Français allaient bientôt s’en apercevoir. 
Informés de cette colère provoquée par le veto de Bonaparte, les généraux français s’attendaient à une insurrection populaire prochaine.  Le général Bessières employa l’expression de Vêpres Siciliennes.

« …ils se calmeront et me béniront… »
Napoléon à Bayonne le 5 mai 1808.

Sous les acclamations du peuple, le roi Ferdinand était entré le 24 mars à Madrid.  Murat se serait bien passé de ce retour, plus que gênant pour ses affaires.  Charles IV et quelques fidèles étaient restés à Aranjuez. 

Palais de Buen Retiro, Madrid

Après le refus de l’empereur de le reconnaître comme souverain, Ferdinand se trouva en proie à la plus cruelle incertitude.  Toutes les cours européennes avaient pourtant reconnu la légitimité de son avènement. Mais il lui manquait, la plus importante, celle de sa puissante voisine et alliée.  Que pouvait-il faire ? Quelle politique devait-il entreprendre pour convaincre l’empereur des Français ?   Sans succès, il avait déjà envoyé des émissaires en France.  Sa cause devait être plaidée auprès de Napoléon, mais comment ?  - l’empereur - mal informé à son sujet – à coup sûr ! - des médisances - sûrement ! - Une rencontre entre les deux monarques  s’imposait !  Mais où ? Quand ? Comment ? Etaient les questions qui se posaient à Ferdinand et à son gouvernement.  

Napoléon connaissait la réponse à ces interrogations : à Bayonne et au plus tôt.

Pour arriver à attirer Ferdinand en France, Napoléon devait choisir un homme de confiance.  Le général Savary fut désigné.  L’empereur pouvait compter sur cet homme rusé et entreprenant.  Il mettra, c’est sûr, tout en œuvre pour réussir.  Savary, c’était l’homme des missions délicates.  Il saurait convaincre le prince à venir à Bayonne pour régler tous les malentendus et arranger cette affaire.  Au besoin – mais cela personne ne devait le savoir - Savary devait, en cas de résistance, enlever le prince espagnol.  L’empereur se faisait peu de scrupule, lorsque ses intérêts le commandaient.  Il ne s’inquiétait jamais de la moralité de l’action - droit au but sans détourner la tête -  la fin tragique du duc d’Enghien en témoignait.

« …Avant de reconnaître le fils, je veux être instruit des sentiments du père ; c’est lui qui est mon allié, c’est avec lui que j’ai des engagements… »

Savary

Sans perdre un moment, le 27 mars, le général Savary fit le voyage de Paris à Madrid. Nul ne devait connaître le but réel de sa mission, surtout pas Ferdinand et ses conseillers, il fallait donc faire vite.
Partout sur son passage, l’habile envoyé répandait le bruit que Napoléon viendrait jusqu’à Burgos, et que ce serait-là qu’aurait lieu son entrevue avec le prince espagnol.  Cette nouvelle adroitement répandue devait préparer Ferdinand au voyage. 

Enfin, une entrevue avec Napoléon !

Tous en Espagne se préparèrent à accueillir Napoléon.  Savary arriva le 7 avril à Madrid.  Murat n’attendait pas Savary, une présence  fâcheuse de plus pour le généralissime.  Savary vit peu Murat, sans perdre de temps, il commença ses démarches auprès de Cevallos et Escoïquiz, conseillers de Ferdinand. 

Roi non reconnu, De Beauharnais et Murat n’appelaient Ferdinand qu’altesse royale. Eh bien ! Savary, sans complexe, pour mieux le convaincre des bonnes intentions de son maître, l’appela roi et majesté - cela ne lui coûtait rien - quelques paroles jetées çà et là, peu de choses en somme s’il arrivait à l’objet de sa mission : entraîner Ferdinand à Bayonne.
De cette manière, par des mots mielleux et des promesses qui n’engageaient personne, il amadouait le faible Ferdinand.  Il approuvait sa conduite, s’intéressait à sa cause, prenait avec lui le langage de l’amitié.  Et comme Napoléon avait déclaré son intention de venir en Espagne, il conseilla à Ferdinand, en toute bienveillance, le supplia même, toujours en toute affection, d’aller au devant  de Napoléon qui était en route.

 «  Que sa majesté vienne seulement jusqu’à Burgos ; l’empereur, déjà parti de Paris, arrivera en même temps sur la frontière pour reconnaître et saluer son bon frère, don Ferdinand VII, le roi des Espagne et des Indes. »

C’est au murmure de ce langage flatteur que le 10 avril, le jeune roi, rempli d’illusions, se mit en marche.  Il partit avec cette pompe royale de l’Escurial.  Partout, avec le plus grand enthousiasme, le peuple venait saluer son seigneur.  A Buitrago, à Aranda del Duero, à Burgos, les cris populaires qu’on n’avait pas entendus depuis de longues années éclataient au passage des voitures royales entourées de cavaliers français.  Le général Savary suivait tout cela d’un œil inquiet, car sous prétexte de faire cortège, on gardait Ferdinand VII.  Il ne fallait par que la proie s’échappe.  Savary avait déclaré aux généraux dont les forces se concentraient entre Burgos et Vittoria de se tenir prêt à tout événement. 
Les divisions françaises se mirent sous les armes.

Entre Burgos et Vittoria, le drame allait avoir ses développements.

Murat

A suivre…  








mercredi 2 mai 2012

Napoléon et l'affaire d'Espagne 3

La nouvelle de l’arrestation de Godoy, de l’abdication de Charles IV et de l’avènement de Ferdinand, fut accueillie avec joie dans toute l’Espagne.  Le peuple s’imagina que Ferdinand allait enfin réparer les malheurs et les fautes du passé. 

Cependant, au milieu de ces transports d’allégresse, la nouvelle cour n’était pas sans inquiétude.  Etrangère aux négociations qui avaient introduit les troupes françaises en Espagne, elle ignorait quelles étaient les vues de l’empereur.  L’ambassadeur de France s’était abstenu de présenter ses félicitations à Ferdinand VII, et Murat se disait ouvertement l’ami du prince de la paix.  Cherchant à sortir de l’état d’incertitude où il se trouvait, Ferdinand dépêcha le duc del Parque vers Murat.  Le duc devait le complimenter et surtout sonder ses intentions.  Au même moment, le nouveau roi envoyait à l’empereur trois grands d’Espagne.  Ils devaient lui annoncer l’avènement de Ferdinand et l’assurer du souhait du nouveau monarque de resserrer les liens d’amitié et d’alliance qui existaient entre les deux pays.

Murat

Les événements d’Aranjuez changeaient toute la nature de la situation pour Napoléon.  Un prince jeune, entouré de la confiance nationale, se posant au sein du peuple comme son bras, sa force et son épée, devenait un grand obstacle à sa politique d’annexion.  Cette nouvelle force, une nation entière derrière un roi populaire, allait se présenter hostile à ses ambitions.  Comment songer dès lors à une abdication volontaire, à une renonciation des droits de Ferdinand qui touchait tout à la fois le prince et l’Espagne ?  L’empereur vivement contrarié de cet incident réfléchit au moyen de sortir d’une affaire si embarrassée.  Par chance, pour lui, Charles IV et Ferdinand se trouvaient sous le coup d’une querelle de famille et de couronne. Tous deux allaient  s’adresser à l’empereur comme à leur juge naturel, à leur suzerain, à leur arbitre.

Napoléon écrivait vers la même époque à Caulaincourt, alors ambassadeur auprès du Tsar, « Il est nécessaire que je remue cette puissance d’Espagne qui n’est d’aucune utilité pour l’intérêt général.  L’anarchie qui règne dans cette cour et dans le gouvernement exige que je me mêle de ses affaires »

Le 23 mars Murat entrait dans Madrid.  Le généralissime reçut les compliments des représentants officiels et des grands seigneurs.  Installé dans la capitale espagnole, Murat devenait l’arbitre de ce qu’il faut bien appelé une révolution de palais.  Devenu le protecteur du trône, il rêva, lui aussi, de s’y asseoir à son tour. 

A Madrid et ailleurs, depuis la prise de pouvoir de Ferdinand, les Français étaient mieux perçu par la population.  On supposait qu’ils étaient venus pour chasser Godoy, et qu’ils appuieraient le nouveau souverain.  A présent, Napoléon était considéré comme l’allié et le protecteur du jeune roi.  Déjà, les plus enthousiastes parlaient d’un futur mariage de Ferdinand avec une princesse de la famille impériale.  Pendant quelques jours, on fut tout à l’espoir.  Se rapprochant également, le très puissant clergé espagnol, sachant que Napoléon avait relevé le culte des autels, consentait à se soumettre à lui avec autant moins de peine que l’administration précédente n’avait ni respecté sa puissance ni ses biens.  Tout allait bien.

Peu de personnes avaient entrevu les véritables intentions de Napoléon. 

Charles IV resté à Madrid, avait fait savoir à Murat qu’il n’avait abdiqué que sous le couteau et le 25 mars, ce même Charles IV déclarait officiellement nulle son abdication obtenue par la force et sollicitait le concours de Napoléon.

« Je proteste et déclare que tout ce que j’exprime dans mon décret du 19 mars, où j’abdique la couronne en faveur de mon fils, a été forcé, afin d’éviter de plus grands malheurs et d’empêcher l’effusion du sang de mes sujets bien-aimés, et partant que le dit décret est nul et de nul effet – Moi, le roi. »

Par cette déclaration, fort opportune, Napoléon se crut justifié et couvert.
Il devait intervenir dans ce conflit dynastique et familial.  C’était son droit et son devoir, les deux partis l’y appelaient.

Mais comment faire ?

S’il se rendait à Madrid pour se prononcer en souverain, ne se livrerait-il pas à un mouvement d’émeute ou à un caprice de peuple ?  Otage ou pire du peuple espagnol ?  Mieux valait donc appeler les princes d’Espagne en France.  Dans une ville frontière française, à Bayonne par exemple pour ne pas trop les effrayer.  Il verrait et jugerait là les querelles de cette famille.  Puisqu’il devait juger, il était naturel que les parties vinssent où siège le juge, et comme ce juge était l’empereur des français…  S’il arrivait à attirer les princes d’Espagne en France, il serait maître de tout, et prononcerait souverainement.  Tels étaient les pensées qui se bousculaient le cerveau du maître de l’Europe.

Bayonne

Pendant que Napoléon réfléchissait, le parti qui avait fait la révolte d’Aranjuez et proclamé Ferdinand VII profitait de ce délai pour s’organiser. Il travaillait l’armée, les gardes du corps, les populations et le clergé. 

« Il ne faut pas , répétait Murat le 26 avril, laisser languir les Espagnols.  C’était un très grand mal. ».  Les Espagnols étaient tourmentés par l’impatience et le désir de connaître le nouveau roi.  Plus l’attente de la décision de l’empereur traînait, plus les Espagnols s’imaginaient que ces questions dynastiques dissimulaient  des intentions de conquête, de démembrements et d’annexion.  Ce qui venait de se passer au Portugal, augmentaient leurs craintes.

Quelques uns commençaient à insinuer que les Français en voulaient moins à Godoy qu’à la dynastie et que le coup de théâtre d’Aranjuez « aurait été entièrement contre les vues du gouvernement français ».  Ils n’avaient pas tort.  Napoléon aurait préféré un scénario à la portugaise, voir la famille royale exilée quelque part aux Amériques, loin du pays, et le trône d’Espagne laissé vacant.

Avec une impatience fébrile, tout le monde attendait, dans les premiers jours d’avril, les nouvelles de Paris.  Le 5, arriva dans la capitale espagnole, un courrier dans lequel Napoléon enjoignait de ne pas reconnaître Ferdinand VII.  Trois jours plus tard, le 8 avril, arriva enfin à Madrid, le journal officiel de l’empire du 29 mars : l’empereur ne reconnaissait pas la validité de l’abdication.  Un véritable choc pour les Espagnols !  Tous les esprits en furent abattus, et la haine de l’Etranger, du Français reprit le dessus.

La très brève lune de miel entre Espagnols et Français était terminée.

A suivre…