bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

vendredi 8 juin 2012

Napoléon et l'affaire d'Espagne 5

Burgos

Accompagné tout le long de la route par un grand enthousiasme populaire, le cortège royal arriva à Burgos le 12 avril.

Toutefois, Ferdinand ne trouva pas, comme promis, Napoléon à Burgos.  Les routes encombrées de nombreuses colonnes de troupes françaises inquiéta ses conseillers. Pourquoi tant de soldats ? Pour défendre le Portugal contre les Anglais ? Cela ressemblait de plus en plus à une invasion de l’Espagne.  Le nouveau roi et ses proches commencèrent à ce moment à craindre un guet-apens.  Ils refusèrent d’aller plus loin. Il fallut les instances du maréchal Bessières et du général Savary pour que le cortège reparte le lendemain à 7 heures du matin.   On leur assura, cette fois-ci, que  l’empereur les attendait à Vittoria. 

Très à contrecœur, on poussa jusqu’à cette ville où l’on comptait bien cette fois trouver l’empereur.  Il n’y était pas.  Pas le moindre signe annonçant l’approche de l’empereur.  Désillusion et nouvelles appréhensions pour Ferdinand et ses amis !
Ferdinand apprit à ce moment, avec une surprise mêlée d’un vif mécontentement qu’il ne put cacher, que non seulement l’empereur n’avait pas encore passé la frontière, mais qu’il n’était pas encore arrivé à Bayonne.  Son orgueil espagnol se trouva blessé.  Les conseillers déclarèrent que la dignité de leur roi ne permettait pas d’aller plus loin.  Le général Savary qui pressait toujours de continuer la route sans repos, commençait à irriter les esprits.

 «  Puisque l’empereur, absorbé par sa grande administration, n’avait pu se rendre jusqu’à Vittoria, il était fort simple, tout naturel, que Ferdinand vint à Bayonne ; l’empereur y serait tout prochainement.  Ferdinand ne voulait-il pas se faire reconnaître ?  Il devait donc faire le premier, la démarche. », disait Savary.

Mais cette fois-ci, le roi, sur les conseils de son ministre Urquijo, est bien décidé à s’arrêter.  Les dernières promesses de Savary ne lui suffirent plus.  La nouvelle cour restera à Vittoria et attendra là cet empereur si peu pressé de rencontrer le nouveau roi d’Espagne.  
Furieux de voir sa proie sur le point de lui échapper, Savary quitte Ferdinand et se rend à franc étrier à Bayonne.  L’empereur venait enfin d’y arriver le 14 avril. 

Ferdinand VII

Pendant l’absence de Savary, Ferdinand qui se croyait encore libre, ne l’était déjà plus.  Le maréchal Bessières, commandant le corps d’armée établi dans Vittoria, avait reçu secrètement l’ordre de l’arrêter s’il décidait soudain de retourner à Madrid.  Mais devant la mollesse naturelle de Ferdinand, il ne fut pas nécessaire d’employer la violence.  Le jeune roi est incapable de prendre une décision.  Ses amis tenteront bien de lui proposer de s’échapper et de commencer la résistance ; il n’osera pas suivre leurs conseils.  Indécis, il attendra simplement, sans bouger, la suite des événements. 

Pour triompher de l’obstination de Ferdinand, Savary demande une lettre à l’empereur.  Parti le 14 de Vittoria, il est de retour le 18.  La lettre demandée ?  Quelques mots sans aucun engagement pour l’avenir.  Cela devrait suffire pour convaincre le pauvre Ferdinand.  Et si l’Espagnol proteste encore, cet engagement qu’attend le nouveau souverain, Savary va le prendre au nom de son maître.  Il n’hésite pas à déclarer qu’il se laissera couper la tête, si le prince des Asturies n’est pas reconnu roi d’Espagne par l’empereur le soir même de son arrivée à Bayonne.  Dans cette histoire, on n’était plus à un mensonge près. 
Mais c’est un autre argument qui va décider Ferdinand à continuer sa route.
Au moment de la courte absence de Savary, Ferdinand apprit que sa sœur, l’ancienne reine d’Etrurie, avec laquelle il était aussi au plus mal, avait déterminé son père et sa mère à aller sans retard implorer contre leur fils, l’appui de Napoléon. Les vieux souverains craignaient pour leur vie et celle de leur favori Godoy.
« Le poison est bien à redouter.  De grâce, emmenez-nous en France, lui et nous deux, tout est danger ; tout est risque… », écrivait la reine à Murat, le 16 avril. Murat envoya donc Charles IV et la reine à Bayonne et demanda la libération du prince de la paix.  Mais quand on parla de délivrer le prince de la paix, il y eut chez les Espagnols une sorte de soulèvement.  La multitude avide de vengeance voyait avec rage sa victime lui échapper.  Dans les hautes classes, les hommes qui s’étaient compromis dans la révolution d’Aranjuez, craignaient qu’au milieu de ces revirements politiques, le prince de la paix ressaisisse un jour le pouvoir, et ne les punit de leur conduite.  De tous côtés, on se refusait donc à lui rendre la liberté.  Contre l’avis général, Murat exigea qu’on fasse sortir de prison Godoy pour l’envoyer à Bayonne.  Du reste, pour rassurer tous les inquiets, il annonça qu’Emmanuel Godoy, infortuné dominateur de l’Espagne, favori de la reine, serait à jamais exilé d’Espagne.  Sous la menace d’une intervention « manu militari », Godoy fut libéré et envoyé en France.  Les vieux souverains se sentirent heureux à l’idée de savoir que leur ami était sauvé et qu’ils allaient voir prochainement le tout-puissant empereur, il les vengerait enfin de leurs ennemis.
 
Les anciens monarques avaient donc quitté Madrid.  Sur la route qui les conduisait à Bayonne, ils rencontrèrent, parmi la population, quelques marques de respect mais pas une seule de sympathie ; le peuple avait désormais choisi son nouveau champion.  La nouvelle de ce départ connue, Ferdinand et ses conseillers éperdus, craignirent de trouver l’empereur prévenu contre eux s’ils se laissaient devancer par Charles IV et la reine mère ; ils demandèrent à partir sur le champ malgré les protestations du peuple et les avis du ministre Urquijo.

Le vieux château à Bayonne

Le 20 avril, Ferdinand traversa la Bidassoa.  Il s’attendait à y être reçu en souverain.  A part les gendarmes de Savary, il ne trouva pas au-delà du pont un seul peloton d’infanterie française pour lui rendre les honneurs, ni un cavalier pour l’escorter.  Enfin, à quelques distances de Bayonne, des officiers de la maison de l’empereur vinrent à sa rencontre.  Ils ne lui donnèrent que le titre de prince des Asturies.   Le voile était déchiré.  Il était trop tard, Ferdinand se trouvait en France entre les mains de celui qui s’intéressait de près à son trône.  Le prince arriva à Bayonne à 10 heures du matin.  Il fut reçu sans apparat par Berthier et Duroc chargés de le conduire à son logement.  L’empereur était sur le glacis.  Il inspectait les troupes.  Il interrompit à peine sa revue quand les Espagnols passèrent près de lui.  L’empereur échangea seulement quelques paroles banales avec son prisonnier.  Par protocole, le soir, il le reçut à sa table, le combla d’égards, mais ne l’entretint même pas des affaires d’Espagne et ne le traita aucunement en roi.  Et pourtant…, Ferdinand eût donné la Catalogne et la Navarre, et son honneur, pour que Napoléon l’intronisât en détrônant son père.  Il était prêt à tout pour s’inféoder à l’empire.  Il n’avait compris qu’une chose : par Napoléon, il supplanterait son père et serait roi d’Espagne : « Moi, le roi ! »
Son intelligence et sa conscience s’arrêtaient là.  Quand Napoléon lui annonça qu’il n’était pas même assez roi pour abdiquer, la protestation de son père annulant son avènement, il ne comprit plus rien. 

« Il est bête au point que je n’ai pu en tirer un mot. »

Quant à Charles IV et Marie-Louise, ils étaient décidés à livrer l’Espagne entière et tous leurs peuples, pourvu que Napoléon prononçât la déchéance de leur fils.

Le maître triomphait !

Charles IV arriva le 30 avril à Bayonne. Ferdinand vint saluer ses parents.  Les retrouvailles familiales ne furent pas des plus chaleureuses, le roi chassa son fils de sa présence.  Dès cet instant, attendu, Napoléon notifia au prince des Asturies que puisque le roi Charles était là, il cesserait d’avoir des rapports avec lui.

Lorsque le voyage vers Napoléon avait été décidé, Fernando VII, en quittant Madrid avait établi une junte centrale ; un gouvernement par intérim, qui lui était tout acquis.
Prévenu de la situation à Bayonne, l’oncle du jeune roi, Don Antonio, président de cette junte, écrivit à tous les capitaines généraux des provinces de Valence, de Biscaye, d’Andalousie, de Catalogne :

« …que le seigneur-roi était réellement captif à Bayonne, et qu’il fallait se préparer à prendre les armes comme au temps des Maures. ». 

A présent, l’insurrection n’attendait plus qu’un prétexte.  La police de Savary le savait, et pour l’éviter, l’empereur invita impérativement don Antonio, don Francisco et la reine d’Etrurie à quitter Madrid pour se rendre à Bayonne.  Il voulait avoir sous la main tous les membres de la famille royale afin qu’il n’y eût plus aucun chef de mouvement à Madrid. 

A suivre…


Garde d'honneur à Bayonne