Avignon
Le palais |
C’est
en 1309, que Clément V
y transféra de Rome, le siège pontifical. Quarante années après,
Clément VI acheta Avignon à la reine Jeanne de Naples, comtesse de
Provence. En ce temps-là, avec de l’argent, on s’offrait des
provinces, des villes, bêtes et gens compris.
Quatre
cent
quatre-vingt ans plus tard, c’est-à-dire en 1789, trois partis se
disputaient le pouvoir dans l’ancienne capitale des papes. Le
premier réunissait ceux qu’on appelait les amis de la liberté.
Ce parti prônait le rattachement à la France et aux idées
nouvelles. Le deuxième se composait d’ecclésiastiques, de nobles
et d’hommes de loi. Nombreux, riches et très puissants, ils
réclamaient le maintien de l’Etat pontifical indépendant.
Enfin,
le dernier, sans forme distincte, était formé d’opportunistes,
espèce fort dangereuse, qui attendait dans un certain confort,
l’issue des tentatives des deux premiers avant de prendre le
pouvoir à son tour.
A
la fin du XVIIIe siècle,
la municipalité d’Avignon était en majeure partie composée de
citoyens paisibles et modérés. La révolution qui avait commencée
en France, allait remettre, espéraient-ils, dans tous ses droits, un
peuple dont la souveraineté avait été achetée quelques siècles
plus tôt. Aussi, dès 1789, Avignon et sa région, le comtat,
exprimaient le désir d’être réunis à la France.
Ce
souhait, évidemment n’était pas du goût de tout le monde, en
particulier il effrayait les partisans du pape, et, déjà, beaucoup
d’entre eux, s’exilaient en Italie ; ils fuyaient le pays
qui commençait à être livré au tumulte des idées nouvelles.
La
question de la
réunion d’Avignon à la France fut brandie pour la première fois,
en 1790, à Paris. Ce fut un échec. Une considération prévalut
dans le rejet : la crainte d’attaquer le pouvoir temporel d’un
prince avec lequel on désirait encore entretenir de bonnes
relations, religieuses et amicales
le célèbre pont |
Persuadés,
malgré tout, que le décret de la réunion n’était qu’ajourné,
le parti clérical d’Avignon, pour garder le pays dans le giron de
Rome, se hâtèrent d’exciter d’anciennes divisions entre Avignon
la républicaine et Carpentras la catholique. Les circonstances le
favorisaient. Tout fut mis en œuvre, insinuations, menaces, et même
le recours aux miracles. Les papistes firent tant et tant que les
haines entre les communautés et la guerre civile ne tardèrent pas à
s’allumer.
Un
matin, on trouva, dans l’ancienne capitale des papes, accroché à
une enseigne, un mannequin représentant un officier municipal. Un
écriteau attaché à son cou portait la condamnation des officiers
municipaux et de tous ceux qui s’étaient déclaré pour la
révolution et le rattachement à la France. Ils devaient, c’était
écrit, faire en premier lieu amende honorable, ensuite avoir la
langue arrachée et enfin être pendus. Telle était la
condamnation. Cette provocation, comme on peut le penser, irrita le
peuple. Un boulanger déclara avoir vu suspendre le mannequin ;
menacé par des inconnus, il mourut de peur peu après. Un abbé fut
accusé, on l’arrêta. Déclaré peu après innocent, on n’osa
le libérer par crainte d’une vengeance populaire. Une forte odeur
de poudre, de sang et d’acier commençait à se répandre dans
l’air.
La
garde nationale avait été créée en 1789. Dès le début, les
cléricaux parvinrent à s’y créer un parti. A Avignon, elle
était composée de sept compagnies, trois étaient commandées par
des nobles, celles-là se rangèrent naturellement dans le parti
pontifical ; les quatre autres compagnies se joignirent au parti
républicain.
Le
10 juin 1791,
l’hôtel de ville était gardé par l’une des trois compagnies
tenant pour l’Etat pontifical. Le parti clérical profita de
l’occasion. Cette compagnie s’empara des trois canons placés
devant la porte du bâtiment. Au premier rassemblement, les canons
et les fusils des mutins se déchargèrent sur l’attroupement.
Immédiatement, la foule se dispersa et courut dans toutes les rues
avoisinantes. De tous côtés, on entendait des cris et des appels à
l’aide. Le tocsin sonna et l’alarme devint générale. Les
armes sortirent et la contre-attaque s’organisa. La bataille dura
de quatre heures de l’après-midi à sept heures du soir. Cinq
citoyens trouvèrent la mort et quarante autres furent blessés.
Mais la victoire fut au peuple. La porte de la commune lui fut
rendue et les mutins désarmés.
Hélas,
cette journée ne sera pas la dernière où des innocents perdront la
vie.
Dès
le lendemain, en représailles, des inconnus armés allèrent
chercher deux nobles et un religieux, le marquis de Rochegude, le
comte de Daulan, l’abbé Auffrey ainsi qu’un ouvrier du nom
d’Aubert. Ils obligèrent le bourreau de les pendre. La
municipalité instruite de ce nouveau crime, accourut en armes et
sauva à temps d’autres victimes que ces assassins s’apprêtaient
encore à immoler.
Le
soir du même jour, les Avignonnais, réunis en conseil, se
déclarèrent indépendants et décidèrent de demander
officiellement la réunion à la France. Aussitôt, sur les portes
de l’hôtel de ville, les armes de France remplacèrent celles du
pape. Le lendemain, le vice-légat, représentant le pape, quitta la
ville. Ce jour-là, finit définitivement la souveraineté de Rome
sur Avignon.
Puis
ce fut au tour des
députés, désignés par la ville, de partirent. Ils devaient
présenter à Paris le vœu officiel de la ville d’Avignon
d’appartenir à la France. En attendant la réponse, le pays se
trouvait sans gouvernement, sans tribunaux et sans pouvoir exécutif,
la municipalité proposa alors aux villes du comtat, une fédération.
Un pacte fut arrêté. Un corps électoral composé des électeurs
de chaque commune fut chargé de l’organisation des administrations
et de la nomination d’un pouvoir exécutif.
Mais
bientôt, une
rivalité de pouvoirs vit le jour entre cette assemblée et la
municipalité d’Avignon. Le corps électoral voulait dominer tout
le comtat, la cité d’Avignon comprise. Les choses en vinrent au
point qu’Avignon retira son adhésion au pacte fédératif.
Cette
Fédération désirait encore avoir son armée ; elle l’eût.
Cette armée dite de Vaucluse, pour le malheur de la région, se
composait en grande partie de déserteurs et de brigands.
Sa
première mission : marcher
contre Carpentras et réduire la ville en cendre. La troupe
s’ébranla. Avec une artillerie nombreuse, elle mit le siège
devant la cité papiste. Après plusieurs assauts, sans succès,
elle se retira. Dans cette affaire, cette armée avait perdu quatre
cent cinquante hommes.
Pendant
ce temps, à
Paris, le projet de réunion était présenté à l’Assemblée
Constituante. Une nouvelle fois, la demande fut rejetée.
L’Assemblée décida seulement d’envoyer des commissaires,
chargés de proposer la médiation de la France dans le conflit qui
opposait les différents partis. Sur place, ces commissaires
parvinrent, tout de même, à faire signer une suspension d’armes.
Cette paix, à laquelle personne ne croyait, ne fit qu’interrompre
pour un moment les haines et les vengeances.
L’armée
du Vaucluse se trouvait
maintenant en dissension ouverte avec les autorités civiles à qui
elle devait son existence. L’assemblée électorale, qui avait
exercé tous les pouvoirs, fut elle-même violentée, dissoute, et
ses représentants traînés dans les camps par les militaires. Pour
se payer, cette armée rançonnait les paysans et, lorsque les
campagnes n’offrirent plus rien qui pût exciter l’avidité des
soldats, ils entrèrent dans Avignon.
Avignon |
Le
11 août, vers une heure de l’après-midi,
une troupe armée se porta à l’hôtel de ville d’Avignon et
s’en empara. Deux officiers municipaux furent arrêtés et
conduits en prison. Les registres furent saisis. On sonna le tocsin,
l’on battit la générale et des patrouilles parcoururent les rues.
Elles arrêtaient tous les opposants à l’armée. Soixante-dix
personnes furent ainsi jetées dans des cachots. La municipalité
fut suspendue et un conseil provisoire fut nommé à sa place.
Dès
ce moment, la municipalité ne fut plus que l’instrument aveugle
des fureurs d’une troupe enragée. Désormais, Avignon se trouvait
livrée à l’arbitraire. Sous les plus légers prétextes, les
citoyens étaient incarcérés.
Pendant
ces événements,
le parti clérical ne désarmait pas, il continuait son action.
Le
décret qu’avait publié ce conseil provisoire touchait
l’enlèvement des cloches des églises, fut présenté par les
papistes sous les couleurs les plus haïssables dans des placards
affichés partout. Pour aggraver encore la situation, les caisses
d’argenterie et les vases sacrés de la cathédrale, déposées par
l’ancienne municipalité au Mont-de-piété, furent saisies
publiquement par le nouveau pouvoir. Devant ces sacrilèges, les
cléricaux eurent recours à une image de la vierge, qui devint
subitement rouge à la vue de ces profanations, il se racontait même
qu’elle en avait pleuré.
Aussi,
le
16 octobre, le peuple, influencé par toutes ces manoeuvres, déçu
au plus haut degré par le changement brutal de régime, se rassembla
aux cordeliers. Les femmes s’y rendirent en foule. Le sexe dans
cette histoire, n’est pas resté un seul moment indifférent à ce
qui se passait. Des deux côtés, on vit les Avignonnaises se mêler
à tous les mouvements ; elles s’associèrent malheureusement
aussi à toutes les atrocités.
On
s’effrayait des
dilapidations commises par les administrateurs provisoires : on
voulait les sommer d’en rendre compte. Lescuyer, secrétaire de la
municipalité, rencontré par hasard dans la rue, fut de force
conduit aux cordeliers. Là, interrogé, ses réponses furent
embarrassées ; accusé de malversation, le populaire, furieux,
tomba sur lui ; des femmes, avec des ciseaux, lui crevèrent les
yeux avant d’immoler le malheureux Lescuyer. Le crime commis, tous
crièrent « victoire ! » et s’enfuirent de tous
côtés.
Assassinat de Lescuyer dans les cordeliers |
La
troupe, commandée par Jourdan dit coupe-tête, pour légitimer ses
excès à la tête du conseil provisoire de la municipalité,
semblait attendre et même souhaiter cet acte criminel. Cet
assassinat horrible permit au nouveau pouvoir de se venger avec une
ardeur hors du commun. La troupe commença par tirer sur tous
rassemblements hostiles, puis à jeter ceux qui tombaient entre ses
mains dans les cachots du palais des papes. La nuit suivante,
officiers municipaux, femmes, filles, enfants, tous ceux qui furent
arrêtés, seront massacrés, une boucherie humaine qui continuera
les jours suivants.
Arrestations et premiers massacres |
Les
commissaires médiateurs envoyés par la France étaient sur les
lieux ; ils devaient s’y opposer ; ils avaient les pleins
pouvoirs : la force armée avait l’ordre de marcher sur leur
réquisition. Mais cette force armée n’était ni assez nombreuse
ni assez proche. Tous le savaient et tous agirent en conséquence.
Une
partie du palais des papes est connue
sous le nom de La
Glacière,
elle contenait autrefois l’arsenal, les prisons, les salles
destinées à l’administration de la justice, et le logement du
vice-légat. Soixante personnes de tout âge, de tout sexe, y
avaient été enfermées pour venger la mort de Lescuyer.
Je
laisse ici la plume à un contemporain de ces événements, je ne
saurais décrire ce crime atroce aussi bien que lui.
Les
Avignonnais avaient écrit que ces prisonniers étaient sacrés ;
leur prison est le palais où les juges rendent la justice ; ils
étaient accusés, ils devaient être traduits par devant les
tribunaux ; un fer assassin les a moissonnés : ils étaient
au nombre de soixante et un, dont treize femmes. Spectacle
d’horreur ! la mère vient d’expirer sur le corps de son
fils ! le fils expire sur le corps de son père ! Quelle
est cette femme ? elle est enceinte ! le glaive de la loi,
fut-elle coupable ; respecterait cette victime ; les
bourreaux se relayent ; ils continuent ces massacres ;
cette femme, qui est enceinte, est frappée aussi de mort, et, avec
elle, dans ses entrailles, l’innocent qui n’est pas encore né,
descend dans l’abîme d’horreur ; les meurtriers de cette
femme précipitent ce vif dans le mort, de toute la hauteur du palais
dans la cour, où il y avait une fosse.
A
l’entrée de chaque chambre, on assommait avec une barre de fer les
malheureux les uns après les autres. Dans le nombre de ces
assommeurs, un nommé Barbe, prêtre, donnait l’absolution à
chaque individu, au moment où il recevait le coup mortel. Il se
tenait dans l’encoignure de la porte où étaient amenées les
victimes ; aussitôt on les jetait du haut de la tour dans une
fosse garnie de chaux vive. Le citoyen Lami, fils, pénétra dans la
chambre de son père pour le sauver ; mais en vain, ayant été
aperçu par les assassins. Les cannibales ne pouvant le séparer de
son père, qui le tenait dans ses bras, poussèrent l’atrocité
jusqu’à les jeter tous deux vivants dans la fosse. Ils furent
retrouvés morts, leurs bouches l’une sur l’autre. Le fils
n’avait pourtant contre lui que la témérité qu’il avait eue de
s’introduire dans la prison pour sauver son père. Niel fils,
imprimeur, fut tué sur sa mère, qui fut massacrée en même temps.
Niel oncle et son fils périrent aussi. Girard, marchand de soie ;
Lami, père, architecte ; Collet, marchand ; Mouvant,
prêtre de l’Oratoire ; Chapuis, notable, tourneur. Les noms
des autres victimes sont perdus.
Lescuyer
avait un fils ; quelques personnes le soupçonnent d’avoir
contribué à cette terrible vengeance de la mort de son père…Dans
le nombre des assassins, il se trouve le frère de Raphel ;
Bergin, Julien, et Felix Combès, tous administrateurs provisoires… »
Massacre dans la glacière |
Le
département
du Gard dénonça toutes ces atrocités au Corps législatif,
celui-ci resta sourd. Plus grave ! Un pardon fut octroyé à
ces effroyables criminels. Aucun des égorgeurs de la Glacière ne
fut poursuivi. Plus impardonnable encore !
Ce
crime effrayant sera amnistié par l’Assemblée législative par le
décret du 28 mars 1792, concernant tous les crimes et délits commis
jusqu’au 8 octobre 1791. Beaucoup de ces criminels firent plus
tard carrière sous la terreur, le directoire, le premier empire et
leur nom fut honoré de tous… de tous… ?
Les coupables graciés |