bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

lundi 23 mai 2011

Promenade littéraire, Victor Hugo et la vallée de la Bièvre

Gentilly, la maison des Foucher.
« L’on ne songe plus, tant notre âme saisie
Se perd dans la nature et dans la poésie,
Que tout près, par les bois et les ravins cachés
Derrière le ruban de ces collines bleues,
A quatre de ce pas que nous nommons des lieues
Le Géant Paris est couché »
Victor Hugo, au château des Roches.

A quelques kilomètres de Paris, la vallée de la Bièvre mérite le détour.  Lieu de promenade et de distraction des Parisiens depuis des siècles, elle a charmé de nombreux écrivains et artistes.  Ronsard, Rousseau, Corot, Odilon Redon, parmi tant d’autres ont été séduit par la beauté de l’endroit.  Au bonheur que lui accorde l‘inspiration de  quelques belles œuvres s’ajoute le souffle puissant de Victor Hugo.  Malgré la modernisation, il reste encore de ces temps-là une musique qui ne s’éteint pas. 
Presque au centre de Paris, à l’endroit invisible où la Bièvre rencontre la Seine, règne toujours l’écho à la fois insaisissable et lointain des Feuillantines.  Dans l’ancien couvent, parmi les herbes folles, enfant heureux, Victor découvrit la nature, la poésie et la tendresse.

Le jardin des Feuillantines.
« J’eus, dans ma blonde enfance, hélas, trop éphémère, trois maîtres : un jardin, un vieux prêtre et ma mère.»

Plus tard, retrouvant la Bièvre à Gentilly, Victor, adolescent amoureux, rejoignait la jeune Adèle Foucher.  Encore plus tard, c’est dans les villages de Bièvres et de Jouy que s’abritèrent les amours naissantes de Victor Hugo et de Juliette Drouet.

De la demeure des feuillantines, témoin de l’éveil de la sensibilité du poète, il ne subsiste plus rien.  Seul, survit l’image des mots.  Hugo écrivait en 1875 :

Les Feuillantines.
« … aujourd’hui ces arbres, cette chapelle et cette maison ont disparu.  Les embellissements qui ont sévi sur le jardin du Luxembourg se sont prolongés jusqu’au Val-de-Grâce et ont détruit cette humble oasis.  Une grande rue assez inutile passe-là.  Il ne reste plus des Feuillantines qu’un peu d’herbe et un pan de mur décrépit encore visible entre deux hautes bâtisses neuves, mais cela ne vaut plus la peine d’être regardée si ce n’est par l’œil profond du souvenir.  En janvier 1871, une bombe prussienne a choisi ce coin de terre pour y tomber, continuation des embellissements, et M. de Bismarck a achevé ce qu’avait commencé M. Haussmann.  C’est dans cette maison que grandissaient sous le premier empire les trois jeunes frères.  Ils jouaient et travaillaient ensemble, ébauchant la vie, ignorant la destinée, enfances mêlées aux printemps, attentifs aux livres, aux arbres, aux nuages, écoutant le vague et tumultueux conseil des oiseaux, surveillés par un doux sourire.  Sois bénie, ô ma mère !».

Des Feuillantines à Gentilly la distance est courte. Et le poète chantait :

« Vallon, j’ai bien souvent laissé dans ta prairie
comme une eau murmurante errer ma rêverie
je n’oublierai jamais ces fugitifs instants
ton souvenir sera, dans mon âme attendrie
comme un son triste et doux qu’on écoute longtemps »


Gentilly, l'église et la maison des Foucher.


De ce vallon d’autrefois, caché sous la ville moderne, il n’est plus qu’un pli sensible.  En 1823, Gentilly s’étirait le long des rives de la Bièvre.  La rivière bordée de jardins, coulait entre la vieille église Saint-Saturnin et la maison des Foucher.  Cette maison a été démolie et la rivière voûtée.  De nos jours, rien ne permet de reconnaître l’emplacement de ce qui fut la maison familiale d’Adèle.  Là, où naguère les fiancés s’attardaient, égarés par leurs rêves de bonheur, la mémoire seule nous implore.  Pour les retrouver, il faut pénétrer dans l’église inchangée, qu’ensemble ils fréquentèrent.


Adèle Foucher.

Victor Hugo à l'âge des fiancailles.

Plus loin, sur la crête d’un coteau, s’élève le village de Bièvres. Dix ans ont passé et déjà le joli visage de Juliette Drouet efface le souvenir des fiancés de Gentilly.  Dans un site qui exhale comme un parfum de vallée de la Loire, l’église s’inscrit en caractères pleins :

« C’était une humble église au cintre surbaissé
L’église où nous entrâmes ;
Où depuis trois cents ans avaient déjà passé
Et pleuré bien des âmes… »

Malheureusement, son aspect a bien changé depuis la visite du poète en compagnie de Juliette.  La façade et l’entrée ont été remanié vers 1880 et l’intérieur modernisé.

Entre les villages de Bièvres et de Jouy, durant deux étés, Victor vécut des amours discrètes avec Juliette. 


Juliette Drouet.

« Mon bien aimé Victor, je suis encore toute émue de notre soirée d’hier.  A défaut d’amie et de cœur qui me comprenne, et dans lequel je pourrais verser le trop plein de mon bonheur, je t’écris ceci, qu’hier 3 juillet 1834, à 1 heure et demie du soir, dans l’auberge de l’écu-de-France à Jouy, moi, Juliette, j’ai été la plus heureuse et la plus fière des femmes de ce monde… »

L’auberge de l’Ecu de France est toujours debout. C’est par une de ses fenêtres, que les deux amants, le matin du 4 juillet 1834, virent le soleil s’élever au-dessus des toits.

(Et pendant ce temps, Sainte-Beuve rendait visite à Adèle…)

A Jouy, Victor loua pour Juliette une chambre mansardée dans une ancienne conciergerie.  La maison entourée d’un jardin, était modeste, tout à ras de terre, percée de quatre fenêtres au rez-de-chaussée et de trois petites lucarnes à l’étage.  Une porte s’ouvrait de plain-pied sur le jardin.  Cette maison existe encore.  Une inscription évoque le passage des amants célèbres :

« D’autres sont maintenant passés où nous passâmes
Nous y sommes venus d’autres vont y venir
Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes.
Ils le continueront sans pouvoir le finir

Car personne ici-bas ne termine et n’achève
Les pires humains sont comme les meilleurs
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs. »

Pendant que Juliette séjournait dans sa mansarde, Victor, quelques kilomètres plus loin, profitait de l’hospitalité de son ami Bertin au château des Roches. 

« Cette nuit dans ma chambre des Roches,
 je tourne les yeux du côté où tu es… »

Chaque jour, à mi-chemin entre les Roches et Jouy, dans le bois de l’Homme-Mort, leurs cœurs confondus, leurs âmes mêlées, les deux amants oubliaient tout.  Complice de cet amour, un vieil arbre servait d’intermédiaire à leur correspondance.  Ce bois est toujours là.
Les promenades dans le parc du château, autour de l’étang, le long des allées sinueuses bordées d’arbres furent pour le poète des Feuilles d’Automne des plus fécondes.  Le château des Roches, remanié, sert à présent de lieu de mémoire consacré au souvenir de Victor Hugo.

En octobre 1837, Victor revint seul à la petite maison de Jouy.  Voyage mélancolique dont naîtra la tristesse d’Olympio.


Victor Hugo.

« Il voulut tout revoir, l’étang près de la source,
Les retraites d’amour au fond des bois perdues,
L’arbre où, dans les baisers, leurs âmes confondues
Avaient tout oublié !

Il chercha le jardin, la maison isolée,
La grille d’où l’œil plonge en une oblique allée
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait.  Au bruit de son pas grave et sombre
Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l’ombre
Des jours qui ne sont plus. »

Au mois de Septembre 1845, Juliette et Hugo retrouvèrent, enfin ensemble, les lieux où leur amour s’éveilla.  Après un déjeuner à l’auberge du soleil d’or à Bièvres, ils se dirigèrent à pieds vers la maison de Jouy.  Dans le bois de l’Homme-Mort, Juliette plus qu’Hugo, retrouva avec émotion, leurs « chambres de feuillage » et leurs « chapelles d’amour » :

«…J’aurais voulu mettre mes pieds dans tous les sentiers que nous avons parcourus ensemble, il y a douze ans, baiser toutes les feuilles des arbres, cueillir toutes les fleurs des bois, tant il me semblait que c’étaient les mêmes qui nous avaient vus passer ensemble… »

Ils ne retournèrent plus, dans la vallée qui avait vu fleurir une histoire d’amour d’un demi-siècle.  Juliette mourra en 1883  et Victor en 1885.  Ils auront échangé vingt trois mille lettres et laissé autant de souvenirs.

« …un amour qui fut faute et qui devint vertu. »

Aujourd’hui, dans cette vallée inspirée, les pèlerins, à la recherche de ce jadis perdu, rêvent.  Lentement, ils errent dans les pas des amants disparus, respirent avec précaution les mêmes senteurs, regardent respectueusement les mêmes paysages.  Alors, pour peu que l’âme soit assez sensible, ils sentent, tout au fond d’eux, monter le rythme des sons et des paroles d’hier.  Une immortelle musique silencieuse que seul le coeur entend.

J.D.
Juliette Drouet : une débutante à Bruxelles

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