Alfred de Musset |
« Délicieux », n’est-ce pas ? Inévitable mot quand on évoque Musset - Quel incroyable talent ! - Connaissez-vous ses contes d’Espagne et d’Italie, Fantasio, Un Caprice ? Du pétillement, des bulles, du champagne ! De la finesse, de l’élégance, ce Musset est si charmant et si drôle !
Lui-même n’était pas si sûr d’être aussi « délicieux» et que sa vie lui ait paru si charmante et si drôle. Il semble qu’il ait eu méprise. La vérité ne correspond jamais à la légende. A l’occasion du centenaire de sa mort, en 1957, Aragon écrivit cette courte phrase : « Ne passe pas devant ce jeune homme avec la sécurité des choses apprises ».
A dix-neuf ans, Musset prend un départ éclatant. Ses contes d’Espagne et d’Italie révèlent un talent peut-être plus grand encore que celui de Victor Hugo au même âge. Le jeune poète est beau, il valse à ravir. Son œil bleu et sa grosse mèche blonde font tourner les têtes. Mais celles qu’il prend dans ses bras, s’effrayent un peu de son regard, immobile et parfois inquiétant. Du reste, il déclare à celui qui veut l’entendre que l’amour n’existe pas, seul le plaisir de la chair existe. Ce plaisir-là est pour Musset incomparable.
Enfant, il aurait, dit-on, enjôlé sa mère et persuadé son père de lui épargner les rigueurs du pensionnat. Son frère Paul n’y avait pas échappé. Il semble, en vérité, que si ses parents renoncèrent de faire de lui, un interne, c’est que son cas était particulier. M. et Mme de Musset en savaient autrement plus long sur leur fils que la foule. Les affaires de la famille ne regardent pas les étrangers. Ses parents craignaient pour l’avenir de leur second fils ; son équilibre physique et moral les préoccupait.
De nos jours, il paraît incontestable que Musset connut personnellement la pathologie, reconnue, de l’ « autoscopie ». Il lui arrivait de se voir , en face de lui, dédoublé. Il faut se rappeler de ses vers tourmentés de La nuit de décembre et le jeune homme « vêtu de noir » qui lui « ressemblait comme un frère ».
Et dans Lorenzaccio , le moment où la mère de Lorenzo, à cette scène IV de l’acte II, raconte à son fils qu’elle l’a « vu », la nuit dernière, alors qu’il n’était pas là. « ce n’était pas un rêve ; je ne dormais pas ; il est entré dans la chambre ; il était vêtu de noir ; il s’est assis sous la lampe, silencieux, lisant. - Vous l’avez vu ? – Comme je te vois ». et Lorenzo se met à trembler « de la tête aux pieds ». La mère de Musset souffrait-elle, elle aussi, d’anomalies psychiques, d’hallucinations ? Nous n’en savons rien, mais c’est possible.
Mme Musset |
Toujours est-il qu’à vingt ans, Musset va offrir brusquement à George Sand épouvantée, le spectacle d’un dément. Lorsque à Venise, George Sand, au début de février 1834, adresse au jeune docteur Pagello, un appel angoissé pour qu’il vienne auprès de Musset le plus vite possible, elle lui signale sans attendre qu’il a déjà subi, trois mois plus tôt, une crise à peu près semblable. Elle « craint pour sa raison » ; « il ne sait presque ni ce qu’il dit, ni ce qu’il fait ». la nuit du 7 au 8 février 1834 sera horrible : « Six heures d’une frénésie telle que, malgré deux hommes robustes, il courait nu dans la chambre. Des cris, des chants, des hurlements, des convulsions… »
Hors de doute, Alfred de Musset est malade. C’est une réalité. L’histoire bien pensante se fait discrète sur le sujet qui est pourtant capital. De ce brillant garçon, les gens « comme-il-faut» disent, avec une pitié condescendante, qu’il a gâché dans le « désordre », et sa vie et ses dons.
Musset, qui niait l’amour, s’était pourtant mis à aimer. Il aima sincèrement George Sand. Il avait osé, devant elle, le mot qui lui coûtait le plus : « je vous aime, lui avait-il dit, comme un enfant ». Cette enfance, précisément, qu’il rejetait depuis des années. Il avait tourné le dos à tout ce qu’elle lui avait fait croire. Il avait perdu l’illusion de l’image enchantée des hommes et du monde.
Très tôt, la déception lui était venue, puis le dégoût, le refus furieux, et enfin le désespoir. Tout cela caché sous le champagne de ses jongleries et sous ses mascarades mondaines. Restaient les « aventures » voluptés compensatrices, la joie de briller, et surtout cet art d’écrire où il sait bien qu’il excelle. Mais dès sa vingt-et-unième année, de graves soucis. Finis les feux d’artifice. Cette année-là, 1832, son père décède. Les Musset ne vivaient dans le confort que grâce à l’emploi, bien rétribué, du père. Au foyer, maintenant, demeurent une mère désorientée, qui pleure, et la dernière-née, cette petite Hermine, qui a douze ans. Responsabilité. Dans un élan, Alfred de Musset se reprend. Lui qui n’écrivait plus, qui s’écoeurait et dont on murmurait (il ne l’ignorait pas), qu’il était « fini », se remet au travail. Il veut aider les siens et, en même temps, il se remet à croire à tout ce qui lui paraissait hier tromperie et mensonge.
C’est dans cet état d’esprit – un peu égaré, un peu diminué – que la passion l’envahit. George Sand le bouleverse. Il se trompe sur elle, du tout au tout. Musset, naïf, la prend au sérieux. Il ne se doute pas que Mme Dudevant (G. Sand), qui joue à la libérée en matière sexuelle « essaye » en ce moment même, Mérimée et s’intéresse au saphisme. Il la croit à peu près angélique. Ce qui lui arrive ressemble à une ardente résurrection provoquée par la mort de son père. C’est alors qu’il s’ouvre, dans un bonheur ivre, à cet esprit d’enfance qu’il haïssait encore la veille.
Ainsi c’est vrai, c’était vrai ! l’amour existe, l’amour désintéressé, l’amour d’un être pour un autre et non uniquement la relation charnelle. Un amour fait de tendresse, d’admiration et de renoncement. Une voie vers la « pureté ».
Bien sûr, Musset ouvrira les yeux sur George. Sand et qu’il découvrira la trahison de sa maîtresse, l’année suivante, avec le bon docteur Pagello. Et bien sûr que cette nouvelle douleur le rejettera, à jamais, au plus profond, de sa vision sinistre du monde.
« J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges »
G. Sand |
Mais le mal était fait bien avant Venise. L’homme qui part en Italie avec son amante, en décembre 1833, a déjà écrit Lorenzaccio. Lorenzaccio est un constat d’effondrement, un requiem. A peine Musset est-il devenu l’amant de George Sand qu’il a vu s’évanouir, en un instant, son rêve de métamorphose. Comme un gosse, il a simplement fabulé devant son désir. Il reste bien le même, incurable, possédé par son « vice ». Une femme est une femme, c’est-à-dire un sexe, rien d’autre.
« qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse »
La voilà, la tragédie d’Alfred de Musset. Cette réclamation d’Eros, toujours impérative en lui, qu’il tient pour immonde. L’explosion de cette joie physique qu’elle comporte et le vertige dont s’accompagne son assouvissement confirment encore à ses yeux son caractère monstrueux.
C’était ça qui, au seuil de son adolescence, l’avait fait exécrer ce qu’on appelle les « réalités de la vie ».
Il ne s’en sortira jamais.
Après G. Sand, Musset se survivra. Il s’efforcera de retrouver, au moins de temps à autre, et avec un succès sans cesse affaibli, cette folie du divertissement qui lui avait servi, à vingt ans, de planche de secours. Il en viendra à perdre même, comme le racontera son frère Paul : « le sentiment du plaisir », paroles pudiques pour dire que l’orgasme à la fin, ne lui procurait plus aucune sensation. Musset n’a même plus le recours à cette drogue. Plus rien. Il y substituera alors une autre intoxication : l’alcool.
Il n’en aura jamais dit de plus explicite sur lui-même et sur l’image qu’il a de son destin que dans ce vers où il se voit pareil à une colombe tuée :
« Quand vous jetiez au vent la sanglante colombe
Qui tombe en tournoyant dans l’abîme éternel ».
Poésies nouvelles
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