La nouvelle de l’arrestation de Godoy, de l’abdication de Charles IV et de l’avènement de Ferdinand, fut accueillie avec joie dans toute l’Espagne. Le peuple s’imagina que Ferdinand allait enfin réparer les malheurs et les fautes du passé.
Cependant, au milieu de ces transports d’allégresse, la nouvelle cour n’était pas sans inquiétude. Etrangère aux négociations qui avaient introduit les troupes françaises en Espagne, elle ignorait quelles étaient les vues de l’empereur. L’ambassadeur de France s’était abstenu de présenter ses félicitations à Ferdinand VII, et Murat se disait ouvertement l’ami du prince de la paix. Cherchant à sortir de l’état d’incertitude où il se trouvait, Ferdinand dépêcha le duc del Parque vers Murat. Le duc devait le complimenter et surtout sonder ses intentions. Au même moment, le nouveau roi envoyait à l’empereur trois grands d’Espagne. Ils devaient lui annoncer l’avènement de Ferdinand et l’assurer du souhait du nouveau monarque de resserrer les liens d’amitié et d’alliance qui existaient entre les deux pays.
Murat |
Les événements d’Aranjuez changeaient toute la nature de la situation pour Napoléon. Un prince jeune, entouré de la confiance nationale, se posant au sein du peuple comme son bras, sa force et son épée, devenait un grand obstacle à sa politique d’annexion. Cette nouvelle force, une nation entière derrière un roi populaire, allait se présenter hostile à ses ambitions. Comment songer dès lors à une abdication volontaire, à une renonciation des droits de Ferdinand qui touchait tout à la fois le prince et l’Espagne ? L’empereur vivement contrarié de cet incident réfléchit au moyen de sortir d’une affaire si embarrassée. Par chance, pour lui, Charles IV et Ferdinand se trouvaient sous le coup d’une querelle de famille et de couronne. Tous deux allaient s’adresser à l’empereur comme à leur juge naturel, à leur suzerain, à leur arbitre.
Napoléon écrivait vers la même époque à Caulaincourt, alors ambassadeur auprès du Tsar, « Il est nécessaire que je remue cette puissance d’Espagne qui n’est d’aucune utilité pour l’intérêt général. L’anarchie qui règne dans cette cour et dans le gouvernement exige que je me mêle de ses affaires »
Le 23 mars Murat entrait dans Madrid. Le généralissime reçut les compliments des représentants officiels et des grands seigneurs. Installé dans la capitale espagnole, Murat devenait l’arbitre de ce qu’il faut bien appelé une révolution de palais. Devenu le protecteur du trône, il rêva, lui aussi, de s’y asseoir à son tour.
A Madrid et ailleurs, depuis la prise de pouvoir de Ferdinand, les Français étaient mieux perçu par la population. On supposait qu’ils étaient venus pour chasser Godoy, et qu’ils appuieraient le nouveau souverain. A présent, Napoléon était considéré comme l’allié et le protecteur du jeune roi. Déjà, les plus enthousiastes parlaient d’un futur mariage de Ferdinand avec une princesse de la famille impériale. Pendant quelques jours, on fut tout à l’espoir. Se rapprochant également, le très puissant clergé espagnol, sachant que Napoléon avait relevé le culte des autels, consentait à se soumettre à lui avec autant moins de peine que l’administration précédente n’avait ni respecté sa puissance ni ses biens. Tout allait bien.
Peu de personnes avaient entrevu les véritables intentions de Napoléon.
Charles IV resté à Madrid, avait fait savoir à Murat qu’il n’avait abdiqué que sous le couteau et le 25 mars, ce même Charles IV déclarait officiellement nulle son abdication obtenue par la force et sollicitait le concours de Napoléon.
« Je proteste et déclare que tout ce que j’exprime dans mon décret du 19 mars, où j’abdique la couronne en faveur de mon fils, a été forcé, afin d’éviter de plus grands malheurs et d’empêcher l’effusion du sang de mes sujets bien-aimés, et partant que le dit décret est nul et de nul effet – Moi, le roi. »
Par cette déclaration, fort opportune, Napoléon se crut justifié et couvert.
Il devait intervenir dans ce conflit dynastique et familial. C’était son droit et son devoir, les deux partis l’y appelaient.
Mais comment faire ?
S’il se rendait à Madrid pour se prononcer en souverain, ne se livrerait-il pas à un mouvement d’émeute ou à un caprice de peuple ? Otage ou pire du peuple espagnol ? Mieux valait donc appeler les princes d’Espagne en France. Dans une ville frontière française, à Bayonne par exemple pour ne pas trop les effrayer. Il verrait et jugerait là les querelles de cette famille. Puisqu’il devait juger, il était naturel que les parties vinssent où siège le juge, et comme ce juge était l’empereur des français… S’il arrivait à attirer les princes d’Espagne en France, il serait maître de tout, et prononcerait souverainement. Tels étaient les pensées qui se bousculaient le cerveau du maître de l’Europe.
Bayonne |
Pendant que Napoléon réfléchissait, le parti qui avait fait la révolte d’Aranjuez et proclamé Ferdinand VII profitait de ce délai pour s’organiser. Il travaillait l’armée, les gardes du corps, les populations et le clergé.
« Il ne faut pas , répétait Murat le 26 avril, laisser languir les Espagnols. C’était un très grand mal. ». Les Espagnols étaient tourmentés par l’impatience et le désir de connaître le nouveau roi. Plus l’attente de la décision de l’empereur traînait, plus les Espagnols s’imaginaient que ces questions dynastiques dissimulaient des intentions de conquête, de démembrements et d’annexion. Ce qui venait de se passer au Portugal, augmentaient leurs craintes.
Quelques uns commençaient à insinuer que les Français en voulaient moins à Godoy qu’à la dynastie et que le coup de théâtre d’Aranjuez « aurait été entièrement contre les vues du gouvernement français ». Ils n’avaient pas tort. Napoléon aurait préféré un scénario à la portugaise, voir la famille royale exilée quelque part aux Amériques, loin du pays, et le trône d’Espagne laissé vacant.
Avec une impatience fébrile, tout le monde attendait, dans les premiers jours d’avril, les nouvelles de Paris. Le 5, arriva dans la capitale espagnole, un courrier dans lequel Napoléon enjoignait de ne pas reconnaître Ferdinand VII. Trois jours plus tard, le 8 avril, arriva enfin à Madrid, le journal officiel de l’empire du 29 mars : l’empereur ne reconnaissait pas la validité de l’abdication. Un véritable choc pour les Espagnols ! Tous les esprits en furent abattus, et la haine de l’Etranger, du Français reprit le dessus.
La très brève lune de miel entre Espagnols et Français était terminée.
A suivre…
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