bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

mardi 5 juillet 2011

Vacances majorquines - 1ere partie

George Sand.
« …J’ai …une cellule, c’est-à-dire trois pièces et un jardin plein d’oranges et de citrons, pour trente-cinq francs par an, dans la grande Chartreuse de Valdemosa ! »

George Sand.



Les deux amants étaient arrivés à Majorque.  Il faisait chaud et un magnifique soleil inondait la ville et le port de Palma en ce mois de novembre 1838.  Ils avaient quitté Paris, quinze jours auparavant, par un temps extrêmement froid. 

George Sand et Frédéric Chopin s’étaient rencontré, chez Marie d’Agoult, deux ans plus tôt.

« …Elle me regardait profondément dans les yeux…mon cœur était pris… »

Ils devinrent amants.


Frédéric Chopin.
 
Lasse de sa vie partagée entre Nohan et Paris, George Sand, manquait de temps pour écrire, et pour s’occuper de ses enfants.  Elle décida de voyager avec eux.  La santé fragile de sa fille, Solange et de son fils, Maurice, souffrants tous deux de « rhumatismes cardiaques », l’inquiétait.  Pour ne pas devoir passer un nouvel hiver dans le froid du Berry, la romancière songea au bienfaisant soleil de l’Italie.
Cependant il y avait Frédéric.  Le musicien avait éprouvé l’hiver précédent un sérieux refroidissement, auquel il n’avait  pas vraiment porté attention.  Chopin ignorait qu’il présentait les premières manifestations de la tuberculose pulmonaire qui devait l’emporter douze ans plus tard.  Il toussait continuellement, et sa constitution déjà fragile et délicate, s’affaiblissait rapidement.  Malgré cela, il continuait à mener une existence épuisante qui le détruisait lentement. 

«  Chopin tousse avec une grâce infinie »  (Marie d’Agoult)

A cette époque, en France, la tuberculose était encore inconnue, on lui donnait d’autres noms.  Parmi les remèdes, on conseillait aux malades d’aller passer l’hiver dans des régions au climat tempéré.  Quand il apprit l’intention de son amante, de voyager dans ces régions, il insista pour l’accompagner.  Elle accepta sur l’insistance d’amis communs.  Ses amis espagnols, la persuadèrent d’abandonner l’idée de l’Italie au profit de l’Espagne.  Ils conseillaient en particulier les îles Baléares.  La douceur du climat de Majorque, son charme, sa poésie, l’hospitalité traditionnelle de ses habitants, et surtout le coût bon marché de la vie, désignaient cette île , tout naturellement comme destination hivernale.

La découverte d’une île encore si peu connue, entre ses enfants et Frédéric, n’était pas pour déplaire à George.  En plus, cette fugue amoureuse loin des yeux du monde évitait le scandale.  D’un commun accord, Frédéric et George voyageraient séparément. Ils se retrouveront à Perpignan.  George et les enfants quittèrent Paris le 18 octobre 1838.  Ils arrivèrent au rendez-vous, le 30 et Frédéric, le 31.  Passés en Espagne, ils embarquèrent tous, à Barcelone, le 7 novembre.  Un vapeur les conduisit à Majorque où ils arrivèrent le lendemain.

Maurice Sand.


A l’arrivée, sur le port, George Sand s’était informé d’une auberge.  Mais personne ne semblait la comprendre.  Peu patiente de nature, elle laissa son ami et les enfants sur place.  Elle s’engouffra dans les rues, se perdit, frappa aux portes avec l’espoir de  trouver une auberge.  En vain ! Partout, elle se heurta à l’indifférence des Majorquins.  En colère, elle considéra comme idiots les habitants de l’île.  Assez rapidement, elle se rendit à l’évidence : il n’y avait pas d’auberges à Palma !
Enfin, après d’interminables discussions et de recherches, elle eut la chance de découvrir deux petites chambres au-dessus de l’atelier d’un tonnelier.  La romancière ne décolérait pas.

«  A Palma, il faut être recommandé et annoncé à vingt personnes des plus marquantes, et attendus depuis plusieurs mois, pour espérer ne pas coucher en plein champ…Les étrangers sont bien heureux de trouver chacun un lit de sangle avec un matelas…rebondi comme une ardoise, une chaise de paille, et, en fait d’aliments, du poivre et de l’ail à discrétion…malheur à qui n’est pas content...la plus légère grimace que vous feriez en trouvant de la vermine dans les lits et des scorpions dans la soupe vous attirerait le mépris le plus profond et soulèverait l’indignation universelle contre vous. »

Mais ils ne pouvaient songer à demeurer là.  Dès le lendemain, George Sand se présenta accompagnée de ses enfants à toutes les personnalités de la ville.  En dehors des étrangers qui l’accueillirent fort courtoisement, la bonne société locale ne lui réserva qu’un accueil distant.
Rapidement, la médisance se répandit : Qui était-elle ?  Que venait-elle faire ici ?  Une femme accompagnée de deux enfants, d’un musicien et d’une femme de chambre, étrange non ?  Et puis, ces braves gens découvrirent que c’était une femme qui faisait des livres !  Monstruosité ! elle signait d’un nom d’homme : George Sand ! et sa fille habillée comme un garçon !  Aussi aucune personne de bien ne voulut fréquenter cette Française scandaleuse.  Les femmes la fuyaient comme la peste.  Pendant toutes ses visites, la Pestiférée ne manquait pas de faire part de ses difficultés à trouver un logement.  Elle ne trouva d’aide nulle part.

« …il était impossible de trouver dans toute la ville un seul appartement qui fut habitable…un appartement à Palma se compose de quatre murs absolument nus, sans portes ni fenêtres.  Dans la plupart des maisons bourgeoises, on ne se sert pas de vitres, et, lorsqu’on veut se procurer cette douceur, bien nécessaire en hiver, il faut faire les châssis.  Chaque locataire, en se déplaçant…emporte dons les fenêtres, les serrures, et jusqu’aux gonds des portes.  Son successeur est obligé de commencer par les remplacer, à moins qu’il n’ait le goût de vivre en plein vent, et c’est un goût fort répandu à Palma.  Or il faut au moins six mois pour faire faire non seulement les portes et fenêtres, mais les lits, les tables et les chaises, tout enfin, si simple et si primitif que soit l’ameublement.  Il y a fort peu d’ouvriers, ils ne vont pas vite…il y a toujours une raison pour que la Majorquin ne se presse pas…et si vous avez attendu six mois, pourquoi n’attendriez-vous pas six mois de plus ?  Et si vous êtes pas content du pays, pourquoi y restez-vous ?  »


Pendant les recherches de George Sand, Chopin restait seul.  Confiné dans sa chambre, l’artiste se morfondait et rêvait musique… Pour toute musique, il entendait celle des coups du marteau joyeux du tonnelier du dessous !  

Après quatre jours de vaines recherches, notre héroïne reçut un mot de Fleury.  Le Consul de France lui avait enfin trouvé un logement convenable. 



SO’N VENT

Le 15 novembre, ils furent tous debout dès l’aube.  Les grosses malles, les lourdes caisses de livres et les sacs furent rapidement chargé dans les voitures.  George Sand, Frédéric Chopin, les enfants et Amélie, la femme de chambre s’entassèrent tant bien que mal dans l’une d’elle.  Gaiement et cahotant, la petite troupe s’ébranla vers sa nouvelle résidence campagnarde.

« c’était la villa d’un riche bourgeois…Elle était meublée comme toute les maisons de plaisance du pays.  Toujours les lits de sangle ou de bois peint en vert, quelques-uns composés de deux tréteaux sur lesquels on pose deux planches et un mince matelas : les chaises de paille ; les tables de bois brut ; les murailles nues bien blanchies à la chaux… »

La température était agréable et le paysage ravissant.  Malgré cela, Chopin s’inquiétait de ne pas voir arriver son piano. Sans cet instrument, il  ne pouvait travailler à ses « Préludes ». 

« je rêve musique mais je n’en fais pas – parce qu’ici on n’a pas de piano…c’est un pays sauvage sous ce rapport »

Et George Sand de rajouter : « …c’est un pays en arrière de trois cents ans au moins… »

Majorque-cap de Fromentor.

Malgré un regain de santé apparent que semblaient lui avoir procuré les plaisirs du voyage, les promenades, dans l’île, sur des chemins impossibles avaient épuisé le grand musicien.  La terrible maladie poursuivait inexorablement son chemin.  Quoiqu’il n’en voulut rien dire, Frédéric s’ennuyait.  Il n’aimait pas la campagne et le trop grand silence de leur nouvelle résidence lui pesait.  Sans piano, seul véritable confident de ses sentiments intimes, Chopin se sentait égaré.
Un peu maternelle, Frédéric avait six ans de moins qu’elle, George Sand réussit à lui louer un piano.  L’instrument se trouvait dans un piteux état, mais il jouait. Ce fut pour le compositeur un grand réconfort.  En dépit de la mauvaise qualité du piano, il put  travailler à ses « Préludes ».  Cependant sa santé continuait à se détériorer, depuis une quinzaine de jours, il toussait beaucoup et la fièvre ne le quittait pas.  Infatigables, George et les enfants continuaient à courir la contrée.  Un matin de décembre, Chopin céda aux instances des enfants, le soleil qui naissait promettait une belle journée.  George lui assurant que le grand air lui ferait le plus grand bien, il accepta de les accompagner dans leur excursion.  Soudain, alors qu’ils se trouvaient en pleine campagne, une forte averse de pluie glaciale, les assaillis.  Trempés jusqu’aux os, tous durent battre précipitamment en retraite vers la maison.  Chopin, transi, tremblant de fièvre, toussant et complètement à bout de résistance, s’alita.  La saison des pluies venait de commencer.

« Nous étions depuis trois semaines à Establiments, lorsque les pluies commencèrent.  Jusque là nous avions eu un temps adorable…mais tout à coup, après des nuits si sereines, le déluge commença…toutes les fleurs des arbres étaient tombées, et la pluie ruisselait dans nos chambres mal closes…la maison devint inhabitable.  Les murs en étaient si minces que la chaux…se gonflait comme une éponge…cette maison sans cheminée était sur nos épaules comme un manteau de glace… »

La pluie et l’humidité qui en résultait n’étaient pas faites pour améliorer la santé de Chopin.  Son état s’aggravait de jour en jour.
Malgré les visites de différents médecins, tous aussi impuissants qu’incapables, Chopin toussait de plus en plus, les mouchoirs dont il se couvrait la bouche se teintaient de sang.

« …trois médecins – les plus célèbres de l’île – m’ont examiné ;  l’un a flairé mes crachats, l’autre a frappé pour savoir d’où je crachais, le troisième m’a palpé en écoutant comme je crachais.  Le premier a dit que j’allais crever, le deuxième que j’étais en train de crever, le dernier que j’étais crevé déjà… »

Ne pouvant compter sur l’aide de la médecine, George Sand, seule, résolut d’agir.  Elle décida de supprimer le brasero de la chambre du malade.  Les émanations de ce chauffage lui paraissaient être responsable de la toux de Chopin.  Elle partit pour Palma espérant trouver un mode de chauffage moins archaïque.  Elle n’en trouva pas.  Elle commanda, alors, chez un forgeron, la réalisation d’une cheminée à la prussienne.  Devant l’incompréhension et l’ahurissement du bonhomme, elle dessina elle-même le plan.  A Palma, George trouva chez le consul de France, une lettre de son éditeur.  Buloz, angoissé, demandait à la romancière l’envoi de la fin de « Spiridon ».  Il tombait mal, le pauvre Buloz, avec son « Spiridon », elle avait pour l’instant bien d’autres chats à fouetter.  Un instant, elle eut l’envie d’envoyer l’importun éditeur à tous les diables.  Et puis se souvenant malgré tout qu’elle dépendait uniquement de lui et de son bon vouloir quant à l’argent, elle se résigna à attaquer la fin de la rédaction de ce roman.  Elle travailla plusieurs nuits de suite.  Dehors, il continuait à pleuvoir.  L’humidité à l’intérieur de la maison progressait.   La santé et le moral de Chopin ne s’améliorait pas.  La situation ne pouvait pas s’éterniser, elle devait trouver une solution.

Un logement plus sain et plus confortable où Chopin et les enfants échapperaient aux maladies.  Lors des premiers jours à Palma, George avait visité un monastère, la chartreuse de Valdemosa. 

« La chartreuse de Valdemosa contenant tout juste , suivant la règle des Chartreux, treize religieux, y compris le supérieur, avait échappé au décret qui ordonna, en 1836, la démolition des monastères contenant moins de douze personnes en communauté ; mais comme toutes les autres, celle-ci avait été dispersée et le couvent supprimé.  C’est-à-dire considéré comme domaine de l’Etat.  L’Etat majorquin, ne sachant comment utiliser ces bâtiments, avait pris le parti, en attendant qu’ils achevassent de s’écrouler, de louer les cellules aux personnes qui voudraient les habiter.  Quoique le prix de ces loyers fût d’une médiocrité extrême, les villageois de Valdemosa n’en avaient pas voulu profiter, peut-être à cause de leur extrême dévotion et du regret qu’ils avaient de leurs moines, peut-être aussi par effroi superstitieux. »
Valdemosa.

Attirée par le romantisme, par le cadre grandiose et la solitude de ce monastère, George entrevit là un endroit idéal pour travailler et rêver.  L’écrivain conclut sur-le-champs la location d’une cellule.

La cellule à la chartreuse avec ses murs bien épais et moins humides demeurait toujours à sa disposition.  Mais on ne pouvait songer à faire une telle route sous la pluie battante.  Elle s’ouvrit à Chopin de ses réflexions.  Le musicien trop malade pour prendre une décision s’en remit totalement à George.
Le lendemain, accompagnée de son fils, elle retourna à l’abbaye de Valdemosa.  Ses efforts, cette fois-ci, furent couronnés de succès. 

« un autre miracle se fit et nous trouvâmes un asile pour l’hiver.  Il y avait à la chartreuse de Valdemosa un Espagnol réfugié qui s’était caché là pour je ne sais quel motif politique.  En allant visiter la chartreuse, nous avions été frappés de la distinction de ses manières, de la beauté mélancolique de sa femme, et de l’ameublement rustique et pourtant confortable de leur cellule.  La poésie de cette chartreuse m’avait tourné la tête.  Il se trouva que le couple mystérieux voulut quitter précipitamment le pays, et qu’il fut aussi charmé de nous céder son mobilier et sa cellule que nous l’étions d’en faire l’acquisition…tant les objets de première nécessité sont rare, coûteux et difficiles à rassembler à Majorque. »

Cependant, les choses n’allait pas s’arranger aussi facilement.  La visite du dernier médecin ne fut pas sans conséquence.  Ayant diagnostiqué tous les symptômes d’une phtisie pulmonaire chez Chopin, il s’était empressé, comme la loi espagnole le prescrivait, de déclarer le cas à l’Alcade local.  L’Espagne appliquait alors, avec rigueur cette loi contre les maladies contagieuses.  Par elle, les médecins espagnols pouvaient dresser contre le malade un redoutable arsenal administratif et judiciaire. 
Gomez, le propriétaire, informé, qu’il hébergeait un phtisique contagieux dans sa maison, adressa à George l’injonction de quitter immédiatement les lieux.
 
« Un matin…nous reçûmes une lettre du farouche Gomez qui nous déclarait, dans le style espagnol, que nous tenions une personne, laquelle tenait une maladie qui portait la contagion dans ses foyers, et menaçait par anticipation les jours de sa famille, en vertu de quoi il nous priait de déguerpir de son palais dans le plus bref délai… »

Que faire ?  Les Espagnols occupait toujours la cellule promise, Chopin n’était pas en état de voyager.  Cette mise en demeure, les mettait tous à la rue.

« le bruit de notre phtisie s’était répandu instantanément, et nous ne devions plus espérer de trouver un gîte nulle part… »

Mais ce n’était pas tout.  Outre l’évacuation immédiate des lieux, Gomez exigeait un dédommagement exorbitant pour la remise en état de la maison.  Le remplacement du linge et des objets dont le malade s’était servi.  Ces exigences s’avérèrent financièrement catastrophiques pour George.  Chopin était presque sans le sou.  Elle alla demander conseil au consul de France.  Elle lui exposa le problème.  Fleury la dissuada d’engager un procès contre Gomez, elle perdrait à coup sûr.  Il l’engagea donc à payer ce qu’il exigeait.  Pour le logement, il lui proposa l’hospitalité de son appartement à Palma.

Le lundi 10 décembre, ils débarquèrent chez Fleury qui les réconforta de son mieux.
Cinq jours après,  le 15 décembre 1838, George Sand et Frédéric Chopin, Solange et Maurice et la bonne Amélie arrivèrent à la chartreuse de Valdemosa.
A suivre … 



Majorque.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire