« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine , je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert…je l’aime comme un artiste aime l’art. Sans la Touraine , peut-être ne vivrais-je plus ! »
Balzac- Le Lys dans la Vallée
« J’achète la Grenadière … », « …Montcontour est à vendre ! ».
Extraits de correspondances
Honoré de Balzac et la vallée de la Loire seront indissociables. Véritable réservoir de modèles, de paysages, la région anime sa « Comédie Humaine ».
« Son froc en arrière, laissait à découvert son col d’athlète ou de taureau, rond comme un tronçon de colonne, sans muscles apparents, et d’une blancheur satinée qui contrastait avec le ton plus coloré de la face…Il présentait les signes d’une santé violente peu en harmonie avec les pâleurs et les verdeurs romantiques à la mode. Son pur sang tourangeau fouettait ses joues pleines d’une pourpre vivace et coloriait chaudement ses bonnes lèvres épaisses et sinueuses, faciles au rire… » Balzac par Théophile Gautier - 1835
Honoré ouvre les yeux à Tours, au bord de cette Loire, le 20 mai 1799, dans une maison aujourd’hui disparue.
« Tours a toujours été et sera toujours, les pieds dans la Loire , comme une jolie fille qui se baigne et joue avec l’eau, faisant flic flac en fouettant les ondes avec ses mains blanches ; car cette ville est rieuse, amoureuse, fraîche, fleurie, parfumée mieux que toutes les autres villes du monde, qui ne sont pas tant seulement dignes de lui peigner ses cheveux, ni de lui nouer sa ceinture… »
Balzac – Les contes drolatiques
Très vite séparé de ses parents, Honoré est conduit à Saint-Cyr, chez une nourrice.
« Le désir de revoir le petit village de Saint-Cyr où demeurait ma nourrice me fit diriger mes pas de ce côté. Je m’informais si elle vivait encore dans le dessein de lui procurer une douce aisance qui dorât ses vieux jours. J’appris avec douleur qu’elle était morte. Alors je me mis à visiter tous les sentiers témoins de mes premiers pas… » Balzac - Sténie
Il ne retrouvera ses parents qu’à l’âge de quatre ans.
Dans la maison paternel, rue de l’armée d’Italie, aujourd’hui rue Nationale, Honoré coule alors des jours tranquilles.
Son père, Bernard-François, est un notable. Il fait fonction d’adjoint au maire, d’administrateur des Hospices et d’assesseur auprès du juge de paix de Tours. Impliqué dans une faillite, il échappera, grâce à d’utiles protections, à la justice, mais devra quitter la ville en 1814.
La mère, Laure Sallambier, n’aimait guère le petit Honoré.
« de quatre à six ans, je la voyais les dimanches…quand elle m’a pris chez elle, elle m’a rendu la vie si dure qu’à dix-huit ans, en 1817, je quittais la maison paternelle…j’ai donc été, moi et Laurence, l’objet de sa haine. » Extrait de correspondance.
Avant d’aller à Vendôme, il fréquente à Tours, la pension Le Guay où il retrouve les enfants de la petite bourgeoisie tourangelle.
« Moi, chétif et malingre, à cinq ans je fus envoyé comme externe dans une pension de la ville, conduit le matin et ramené le soir par le valet de chambre de mon père. Je partais en emportant un panier peu fourni, tandis que mes camarades apportaient d’abondantes provisions. Ce contraste entre mon dénûment et leur richesse engendra mille souffrances... »
Balzac-Le Lys dans la Vallée
Il se rattrapera plus tard.
« Balzac mangeait avec une joviale gourmandise qui inspirait l’appétit et il buvait d’une façon pantagruélique. Quatre bouteilles de vin blanc de Vouvray, un des plus capiteux qu’on connaisse, n’altéraient en rien sa forte cervelle et ne faisaient que donner un pétillement plus vif à sa gaieté… »
Balzac par Théophile Gautier
A huit ans, il entre au collège des Oratoriens de Vendôme. Pensionnaire à l’année de 1807 à 1813, sa mère ne lui rend visite que deux fois.
Ses professeurs le jugent paresseux. Sa mère confirme : « cet enfant ne nous donnera que des chagrins ». Mais lui n’en a cure, il décoche à un camarade « un jour je serai célèbre ».
Sans doute porte-t-il déjà en lui l’esquisse de sa grande fresque. En vingt ans, une centaine de romans et plus de deux mille personnages.
En attendant, il vit une période maudite.
Volontairement malade, il revient à Tours.
1814, il fait son entrée au collège Royal.
Arrive ensuite le départ pour Paris. Des études de droit, clerc chez un notaire, métier qu’il abandonne au bout de deux ans. Une première œuvre « Cromwell », quelques récits. Journaliste, imprimeur, éditeur, il échoue dans toutes ses entreprises. Puis vient le temps des projets insensés, des rêves de fortunes. Les chèvres du Tibet qui ont perdu leurs poils, les toiles de maîtres qui se révèlent des croûtes sans valeur. Surgissent, avec ces désastres, les soucis financiers. Commencent alors les interminables poursuites, l’impossible jeu de cache-cache avec les créanciers et la recherche continuelle d’argent et aux femmes en mesure de lui en fournir.
La vie tourmentée de Balzac le ramène régulièrement dans sa région natale. Un voyage de vingt-trois heures en diligence.
Son refuge de prédilection, il le trouve au château de Saché. C’est la propriété de Monsieur de Margonne. Un ami de la famille, mais surtout l’ancien amant de sa mère et le père de son frère Henri. On comprend pourquoi celui-ci, malgré une femme acariâtre, ouvre généreusement les portes de son château, au romancier. Aussi Honoré ne s’en prive pas.
« Saché est un débris de château sur l’Indre, dans une des plus délicieuses vallées de Touraine. Le propriétaire, homme de cinquante-cinq ans, m’a fait jadis sauter sur ses genoux. Il a une femme intolérante et dévote, bossue, peu spirituelle. Je vais là pour lui ; puis j’y suis libre… » extrait de correspondance
Dans sa chambre dont la fenêtre s’ouvre sur la vallée, assis dans son lit, le pupitre reposant sur les jambes ou sur la petite table que l’on voit encore, il écrit. Couché à 6 ou 7 heures « comme les poules » disait-il, ce galérien des mots se lève à une ou deux heures du matin pour 16 à 17 heures d’écriture entrecoupées de simples pauses et de tasses de café pur.
Quelquefois, le soir, pour les invités de ses hôtes, dans le salon où rien n’a changé, ni la cheminée de marbre noir à colonnettes, ni le papier peint, Honoré descend raconter et mimer les scènes qu’il vient d’écrire.
C’est avec le romancier que nous allons faire une ravissante promenade au jardin de la France. En Touraine, de la vallée de la Loire à la vallée de l’Indre, de Tours à Saché, par le chemin emprunté par Felix de Vandenesse, le héros de son roman Le lys dans la vallée. De Tours par le plateau de Charlemagne couvert aujourd’hui de vignes et de cultures, on peut s’arrêter un instant au bord de la route, peut-être au-dessous du même noyer où Felix s’arrêta, le cœur battant, conquis par
« ce long ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant… » Balzac – Le Lys dans la vallée
Le Lys comme guide, il faut descendre sur Artannes, l’Indre y bat toujours la roue des moulins. Tout est pareil, fidèles et poétiques, les bouquets d’arbres, les vieilles barques, les masures, les petits jardins avec leurs haies de chèvrefeuilles, de jasmins et de clématites, harmonie parfaite entre l’écrivain et la terre inspiratrice.
Un peu plus loin, Pont-de-Ruan.
« …voilà le village de Pont-de-Ruan, joli village surmonté d’une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades, et comme les peintres en cherchent pour leurs tableaux. Encadrez le tout de noyers antiques, de jeunes peupliers aux feuilles d’or pâle, mettez de gracieuses fabriques au milieu des prairies où l’œil se perd sous un ciel chaud et vaporeux, vous aurez une idée d’un des mille points de vue de ce beau pays… » Balzac – Le Lys dans la Vallée
Poussons jusqu’à la barrière du château de Frapesle (Valesne), de là portons le regard vers la rive opposée, au sommet du coteau : Clochegourde (la Chevrière ), la demeure de Madame de Mortsauf. Continuons et suivons le cours de l’Indre, où Balzac conduisit Mme de Berny pour une ultime promenade sentimentale, pour arriver au château de Saché.
« …La Touraine m’a rendu quelque santé…Je suis en ce moment dans ma petite chambre de Saché où j’ai tant travaillé. Je revois les beaux arbres que j’ai tant vus en cherchant mes idées. Je ne suis pas plus avancé en 1836 qu’en 1829 ; je dois et je travaille toujours…J’ai ici depuis quelques jours, contemplé l’étendue de mon œuvre et ce qui me reste à faire. C’est énorme. Aussi, en voyant cette immense fresque, ai-je une grande envie de liquider la Chronique , de renoncer à toute espèce d’ambition politique et de prendre quelques arrangements qui me permettrait de me retirer dans un cottage de Touraine et d’y accomplir paisiblement, sans souci, cette œuvre qui m’aidera à passer la vie…La Touraine est cependant bien belle en ce moment. Il fait une chaleur excessive qui fait fleurir les vignes. Ah ! Mon Dieu ! quand aurais-je une petite terre, un petit château, un petit parc, une belle bibliothèque, et pourrais-je habiter cela sans ennuis… » Extrait de correspondance
Voilà, nous avons un tout petit rêvé au cours de cette lecture. Balzac chérissait sa vallée, elle était pour lui un lieu de repos, de vie et de santé mais aussi un réservoir inépuisable de paysages, de personnages d’une densité et d’une force qui animèrent son œuvre colossale, La Comédie Humaine. Dans cette vallée, rien n’a changé ou presque. Les beaux soleils d’automne, les rives de la Loire , les vignobles, les façades en tuffeau des maisons, les rues, les vieux quartiers de Tours ou de Saumur, tous nous transmettent encore les émotions balzaciennes du Lys dans la Vallée , de La Femme de Trente Ans, du Père Goriot ou de L’illustre Gaudissart.
Allez-y faire un tour, vous ne le regretterez pas.
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