Napoléon, assis sur l’un des trônes de la maison de Bourbon, considérait les princes qui occupaient les autres, comme des adversaires naturels. Son intérêt était de les renverser. Naples et le royaume d’Etrurie remplissaient déjà son escarcelle. Restait encore l’Espagne, un gros morceau. Une des conditions du succès de cette entreprise était d’obtenir une stabilité sur l’échiquier politique du continent. A la fin de 1807, Napoléon disposait en maître de l’Italie, de la partie de l’Allemagne comprise entre le Rhin et l’Elbe, et de la Silésie jusqu’au Niémen. La Prusse était presque anéantie et l’Autriche affaiblie. Il avait fait goûter à la Russie des plans d’ambitions qui donnaient au Tsar Alexandre deux guerres à soutenir. L’Espagne lui parut alors complètement isolée. Comme Louis XIV avant lui, il avait la ferme intention d’installer sur le trône d’Espagne l’un des membres de sa famille.
Mais voilà, la place convoitée par l’empereur des Français n’était pas encore libre, Charles IV l’occupait. L’empereur, bâtisseur d’une dynastie, se sentit, par conséquent, obligé - comme il le disait - de fouler aux pieds une quantité de considérations secondaires pour arriver à son but.
Dynastie devenue incapable et dégénérée, les Bourbon d’Espagne se trouvaient alors être pour Napoléon « des considérations secondaires ». Son parti était pris, il allait leur enlever la couronne.
Famille royale d'Espagne |
Depuis la dernière moitié du XVe siècle jusqu’au commencement du XVIIe siècle, l’Espagne fut la première nation d’Europe. Par ses aventuriers, elle ouvrit la porte d’un nouveau monde. Par mariage, elle régnait sur les Pays-Bas, par conquête en Italie et au Portugal, par élection en Allemagne et, en France par les guerres civiles. Elle menaça l’Angleterre et garda dans ses prisons des rois de France. Enfin, comme toutes les grandes puissances, elle tomba un jour. Cependant elle ne disparut pas avant qu’Anne d’Autriche, infante d’Espagne, ne donna naissance à Louis XIV. En retour, Louis le Grand donna un Bourbon à l’Espagne. Puis ce grand pays s’endormit jusqu’au commencement de la révolution française. En 1792, l’ambassadeur du Bourbon espagnol à Paris voulut sauver le Bourbon français, mais ne le put. L’Espagne déclara alors la guerre à la république, puis fit la paix à Bâle et devint un satellite de la France. Dès lors, le favori du roi et de la reine d’Espagne, Emmanuel Godoy, appelé depuis le traité de Bâle, le prince de la paix, entra dans les intérêts de Paris : les Espagnols le détestèrent. Ils s’attachèrent dès lors à l’héritier du trône, Ferdinand, prince des Asturies, qui ne valait pas mieux.
Madrid, palais royal |
Bonaparte, après ses succès diplomatiques et guerriers au Nord, les mains libres, se tourna vers le Sud. Pour nuire au commerce anglais, il ordonna aux Portugais de fermer ses ports aux navires britanniques. Au Portugal régnait la maison de Bragance, l’ordre de Napoléon mettait cette dynastie dans une position très délicate. Pour l’empereur, cela n’était, une fois de plus, que « considérations secondaires ». Le sort du Portugal était déjà scellé à Paris, il entrerait dans le système impérial. Aussi, pour envahir ce pays, que protégeait l’Angleterre, Bonaparte fit du roi d’Espagne et de Godoy ses complices.
Entre eux, un traité signé à Fontainebleau le 29 octobre 1806, fixa la marche des troupes françaises à travers l’Espagne. Ce traité déclarait la déchéance des Bragance, jetait un morceau du Portugal au roi d’Etrurie, détrôné par Bonaparte, un autre à Charles IV d’Espagne, que Bonaparte secrètement se proposait détrôner, et le royaume des Algarves fut promis à Godoy. Le général Junot entra au Portugal le 19 novembre 1807, les troupes espagnoles suivirent, et le 27, à Lisbonne, toute la famille royale portugaise s’embarquait pour le Brésil.
L’occupation du Portugal masquait et marquait en même temps l’invasion de l’Espagne.
Une convention anodine, technique, annexée au traité de Fontainebleau, que les Espagnols n’avaient pas remarqué, donnait le moyen à l’empereur de réaliser l’invasion pacifique de leur pays.
En vertu de cette convention, le 24 décembre de la même année un second corps de l’armée française entra dans le pays par Irun. La haine publique s’accrut encore contre le prince de la paix rendu responsable de la présence des étrangers.
Emmanuel Godoy, prince de la paix |
Depuis quelques années, la désunion régnait à la cour de Madrid.
Le roi d’Espagne, Charles IV était vieux, mou et fort antipathique. Ce roi, qui préférait la chasse à ses devoirs, laissait les rênes du pouvoir au favori de sa femme, Emmanuel Godoy. Le fils du roi, Ferdinand ne s’entendait ni avec sa mère ni avec le favori de celle-ci. La vie de cette cour était devenue une intrigue permanente. Entre les partisans de Ferdinand, lâche, au caractère irascible et jaloux, et ceux du favori, Godoy, une lutte sourde et sans merci s’était engagée. La brillante fortune et l’ambition du ministre excitaient l’envie de Ferdinand. Le profond ressentiment du prince des Asturies envers le favori en avait fait le chef naturel de l’opposition. Et comme pour assainir les finances publiques mises à mal par les mauvaises gestions successives et pour faire face aux contributions extraordinaires imposées par Napoléon, Godoy avait cherché l’argent là où il se trouvait : parmi les très riches et l’Eglise d’Espagne. Ceux-là ne pardonnèrent pas au ministre les mesures prises contre leurs intérêts et pour se venger, se rangèrent dans le camp de Ferdinand.
La population et les grands privilégiés espéraient tout de Ferdinand. Considéré par le peuple comme l’espoir de la nation, Ferdinand n’ouvrirait jamais, pensait ce même peuple, les portes du pays aux Français, ces nouveaux Maures. On annonçait qu’il règnerait en roi très catholique, ce qui signifiait que les religieux garderaient leurs biens. Ferdinand était donc l’ami naturel du peuple, de l’Eglise et des financiers et Godoy, vendu aux Français, leur ennemi. Le prince des Asturies, paraissait ainsi le ciment de la nation espagnole.
Mais la vérité se trouvait être toute autre.
Tous les partis recherchaient en réalité l’amitié de Napoléon. Tous étaient plus ou moins vendus aux français. Beauharnais, l’ambassadeur de France avait été chargé de se rapprocher du prince des Asturies, d’entretenir sa haine contre le favori et d’encourager ses conseillers à intriguer contre son père. Incitations superflues car, brusquement, le 30 octobre 1807, du palais de l’Escurial, un décret royal apprenait à la population que l’héritier de la couronne venait de perdre sa liberté.
Que s’était-il passé ?
Escoïquiz, chanoine de Tolède, ancien précepteur de Ferdinand, s’était arrêté à l’idée qu’un intérêt étranger et puissant serait le seul appui véritable pour son prince. Pour ce faire, il eut la pensée, appuyée naturellement par Beauharnais, de le marier avec une nièce de Napoléon. Soutenu, Escoïquiz s’attachait chaque jour davantage à ce plan. Impatient de se rapprocher de son ancien élève et du théâtre des affaires, il quitta Tolède et s’installa à Madrid. Il y fit la connaissance du comte d’Orgaz, attaché à Ferdinand à qui il communiqua son projet. Sur les conseils du chanoine, l’héritier du trône, à l’insu de son père, écrivit à un souverain étranger - Napoléon – pour lui demander servilement son appui et faire sa demande de mariage. Dans l’une de ses conversations avec Escoïquiz, Orgaz raconta qu’un colonel de dragons, Don Tomas Jauregui, qui faisait partie de la garnison de Madrid, l’informait de tout ce qui s’y passait. Entre ces hommes, un complot s’organisa, le prince devait détrôner son père, au plus vite. Manquant de discrétion, le complot fut découvert.
On arrêta le prince, ses conseillers et leurs complices. Tremblant, Ferdinand, futur roi, dénonça de lui-même les conjurés et donna tous les détails du complot. Il montra la lettre qu’on l’avait obligée - disait-il - d’écrire à l’empereur. Toutes ces révélations faites pour se sauver lui-même, et qui vouaient à une mort presque certaine ses complices, prouvaient chez Ferdinand un égoïsme et une lâcheté de caractère dont il donnera encore plus tard de nombreux témoignages.
Seulement, cette lettre compromettante, qui aurait dû lui nuire davantage, ajouter une charge de plus, fut justement ce qui sauva le prince et ses amis. En entendant prononcer le nom de Napoléon, la cour s’effraya. On pensa que Ferdinand avait concerté des projets avec l’empereur et que l’appui de la France lui était assuré. On évita le procès. Les juges ne condamnèrent donc pas le prince des Asturies et, ses serviteurs furent simplement exilés. Ferdinand écrivit deux lettres à ses parents demandant son pardon.
« Sire, mon papa, j’ai failli, j’ai manqué à votre Majesté en qualité de roi et de père ; mais je me repens, et j’offre à V.M l’obéissance la plus humble. Je ne devais rien faire sans son assentiment ; mais ma religion a été surprise. J’ai dénoncé les coupables, et je demande à V.M. qu’elle me pardonne de lui avoir menti… »
Trop heureux de porter un coup au parti de Ferdinand, on publia la lettre du repentant.
Ferdinand, prince des Asturies |
C’est dans ce prince de vingt-quatre ans, qui plus tard portera la couronne d’Espagne que le peuple espagnol plaçait son espérance. Quelques mois après avoir écrit ces mots, Ferdinand recommençait.
Malgré un prince qui trahit ses amis et demande pardon, l’Espagne n’ouvrit pas les yeux. Le peuple continua de fonder ses espérances dans ce prince indigne de lui.
Quant à L’empereur, il ne vit dans cet événement qu’une méprisable intrigue de cour, mais exigea que, dans la procédure instruite contre les serviteurs de Ferdinand, il ne fût mention ni de son ambassadeur, ni de la lettre du prince.
Secrètement, Napoléon triomphait des discordes qui divisaient la cour d’Espagne.
A suivre…
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