« …marche encore et toujours ! marche ! si, d’aventure,
Tu touchait ton but de la main,
Laissant derrière toi l’oasis et la source,
Vers un autre horizon tu reprendrais ta course ;
Tu dois mourir sur un chemin ; »
Emile Goudeau.
Emile Goudeau. |
En 1850, dans ce Périgord façonné d’esprit et de poésie, patrie de Montaigne et de la Boétie , de Brantôme et de Fénélon, naquit le romancier et poète hydropathe, Emile Goudeau. Son père, sculpteur de talent, exécutait des monuments funéraires pour nourrir les siens. Après de bonnes études, Emile fut quelque temps professeur. Il quitta l’enseignement pour se retrouver à Paris comme attaché au ministère des finances. La fibre lyrique en lui, Emile publie ses poèmes dans plusieurs journaux. Paraît ensuite son premier volume de vers « fleurs de bitume » en 1878, chez Lemerre. Lancé, Emile fonde le cercle littéraire et artistique du Quartier Latin, qui, sous le nom original de club des hydropathes, est une pépinière de poètes. Des hydropathes naît, en 1881, le Chat Noir, cabaret montmartrois notoire et dont le journal a pour rédacteur en chef Emile Goudeau. Après « fleurs de bitume », volume qui obtient un grand succès, Emile Goudeau publie : « Poèmes ironiques », « Chansons de Paris et d’ailleurs », des romans et autres ouvrages où apparaît toujours un esprit frondeur « souple, railleur, tendre et délicat». Il décède en 1906.
Digne de Maître Rabelais, le discours qui suit, est une cause sérieuse qui conduit à la réflexion. Un propos grave traité sur le mode Goudeau. Un texte qui plaira non seulement aux amis des animaux, aux végétariens, mais aussi à tous les autres, Bref à tout le monde.
Joyeuse lecture !
J.D.
La revanche des bêtes – extrait
Tu tapes sur ton chien, tu tapes sur ton âne,
Tu mets un mors à ton cheval,
Férocement tu fais un sceptre de ta canne,
Homme, roi du règne animal :
Quand tu trouves un veau, tu lui rôtis le foie,
Et bourres son nez de persil ;
Tu tailles dans le bœuf, vieux laboureur qui ploie,
Des bifstecks saignants, sur le gril ;
Le mouton t’apparaît comme un gigot possible,
Et le lièvre comme un civet ;
Le pigeon de Vénus te devient une cible,
Et tu jugules le poulet…
Oh ! le naïf poulet, qui dès l’aube caquète !
Oh ! le doux canard coincoinnant !
Oh ! le dindon qui glousse, ignorant qu’on apprête
Les truffes de l’embaumement !
Oh ! le porc dévasté, dont tu as fait un eunuque,
Et que tu traites de…cochon,
Tandis qu’un mot quadruple et fatal le reluque ;
Mané ! Théce ! Pharès ! Jambon !
Tu pilles l’Océan, tu dépeuples les fleuves,
Tu tamises les lacs lointains ;
C’est par toi qu’on a vu tant de limandes veuves
Et tant de brochets orphelins ;
Tu restes insensibles aux larmes des sardines
Et des soles au ventre plat ;
Tu déjeunes d’un meurtre, et d’un meurtre tu dînes ;
Va souper d’un assassinat.
Massacre par les airs la caille et la bécasse…
Sombre destinée : un salmis !
Tandis qu’un chou cruel guette d’un air bonasse
Le cadavre de la perdrix,
Mais est-ce pour manger que seulement tu frappes,
Dur ensanglanteur de couteaux ?
Non. Les ours, les renards, les castors, pris aux trappes,
Sont une mine à paletots ;
Tu saisis le lion, ce roi des noctambules,
Dont le désert s’enorgueillit,
Pour faire de sa peau, sous tes pieds ridicules,
Une humble descente de lit.
Mais le meurtre, c’est peu ; le supplice raffine
Tes plaisirs de dieu maladif.
Et le lapin (nous dit le livre de cuisine)
Demande qu’on l’écorche vif ;
Et l’écrevisse aura, vive, dans l’eau bouillante,
L’infernal baiser du carmin ;
Et, morne enterrement l’huître glisse vivante
Au sépulcre de l’abdomen.
Soit ! il viendra le jour lugubre des revanches,
Et l’âpre nuit du châtiment,
Quand tu seras là-bas, entre quatre planches,
Cloué pour Eternellement.
Oh ! l’animalité te réserve la peine
De tous les maux jadis soufferts ;
Elle mettra sa joie à te rendre la haine
Dont tu fatiguas l’univers.
Or, elle choisira le plus petit des êtres,
Le plus vil, le plus odieux,
Un ver – qui s’en ira pratiquer des fenêtres
Dans les orbites de tes yeux.
Il mangera ta lèvre, avide et sensuelle,
Ta langue et ton palais exquis ;
Il rongera ta gorge et ta panse cruelle,
Et les intestins mal acquis ;
Il ira dans ton crâne, au siège de tes pensées,
Dévorer, lambeau par lambeau,
Ce qui fut ton orgueil et tes billevesées ;
Les cellules de ton cerveau.
L’âne s’esclaffera, voyant l’homme de Proie
Devenu Rien dans le grand Tout ;
Le pourceau, dans son bouge infect, aura la joie
D’apprendre ce qu’est le dégoût ;
Et les bêtes riront, dans la langue des bêtes,
De ce cadavre saccagé
Par la dent des impurs fabricants de squelette, -
Quand le mangeur sera mangé.
Emile Goudeau (Poèmes ironiques)
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